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il monta en chaire et dès les premiers mots l’auditoire tressaillit,

— Enfans, dit le curé d’une voix grave, je viens vous répéter une parole solennelle du divin maître : « vendez votre manteau pour acheter une épée. » — Ce texte de l’Évangile fut le point de départ d’une improvisation toute guerrière. Le curé, avec une éloquence superbe, exposa à ses paroissiens ce qu’ils n’ignoraient pas, savoir que le gouvernement de Christine était l’ennemi de la religion non moins que des Provinces, et que tous les Escualdunac devaient s’armer contre elle au nom de Dieu et au nom de leur liberté. Il prêcha la guerre sainte à la fois comme un apôtre et comme un vieux soldat qui regrette son ancien métier.

L’auditoire, muet et palpitant, avait les yeux sur lui : dès qu’il eut cessé de parler, les femmes éclatèrent en sanglots, et tout le monde se pressa hors de l’église.. Quelques hommes, en petit nombre, vétérans des guerres de l’indépendance ou de la foi, poussaient des vivats et entonnaient des refrains militaires j mais la plupart des jeunes gens restaient silencieux et mornes. Chose surprenante, le Basque, si fougueux dans les combats, n’aime pas à quitter pour la guerre le foyer où il mène une douce vie. Tous mes camarades d’enfance m’entouraient avec des visages consternés. « Manuel, disait l’un, tu es heureux d’être né en France, tu n’es pas obligé de quitter ce que tu aimes. — Au moins, disait un autre, si, comme toi, je n’avais point de fiancée! » Ces propos m’étonnèrent, car le discours de mon oncle m’avait transporté d’une ardeur belliqueuse, et me rappelèrent deux choses auxquelles je ne pensais plus, la première que je n’avais rien à démêler avec Christine, la seconde que je ne pouvais partir sans laisser aussi une amaztegheïa.

Je me mis en route l’esprit assez troublé, et» comme en pareil cas le cœur retrouve toujours ses droits, je pris involontairement pour aller à Sare le chemin de l’école, c’est-à-dire que je passai par Ascain. Quand j’y arrivai, j’aperçus le maire qui se promenait sur la place en donnant le bras à sa fille. Je m’approchai pour le saluer. Il me vit le front en sueur et me demanda si j’avais, fait une longue marche; je répondis que je venais de Lesaca.

— Ah! dit le maire, il nous vient de ce côté-là de mauvaises nouvelles. Est-il vrai que la faction s’étende jusqu’au Baztan?

— De quelle faction voulez-vous parler? dis-je.

— Eh parbleu ! des rebelles, de ceux qui prennent les armes pour l’infant don Carlos.

Je fronçai le sourcil : -— Yaona. comment se fait-il que vous appeliez ces braves gens des rebelles ?

— Puisqu’ils se révoltent contre la reine d’Espagne, doña Isabel?

Cette fois je perdis patience, et me redressant avec fierté : — Les Navarrais, dis-je, ne doivent rien aux rois ni aux reines, les cortès