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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/668

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christinos, c’est-à-dire de longues capotes grises, coiffés de bérets bruns, leurs armes brillantes sur l’épaule, les montagnards marchaient d’un pas rapide et muet, car ils n’étaient chaussés que d’alpagattes ou d’abarcas, espèce de sandales en peau de bœuf. Aussi alertes qu’une troupe fraîche, il fallait regarder la rougeur de leurs visages pour deviner qu’ils venaient de faire quinze ou vingt lieues. Dans leurs rangs flottait le drapeau noir de Navarre, et je ne vous dépeindrai pas, mon ami, avec quelle admiration et quel enthousiasme je les regardais passer, tandis que les enfans criaient: Vive Charles V ! vivent les fueros !

Les cris redoublèrent lorsqu’on vit derrière ce bataillon un groupe d’officiers à cheval, couverts de boue comme leurs soldats. L’un d’eux marchait un peu en avant, tout pareil aux autres pour le costume, large béret rouge, jaquette de peau d’ours, long sabre droit, point de broderies ni de galons ; mais tout le monde le reconnut à son profil sévère et à ses yeux d’aigle : c’était Zumalacarreguy Dès qu’il parut sur la place les clairons sonnèrent la marche des anciens rois de Pampelune, et je frémis de la tête aux pieds comme si une vision eût passé devant moi.

Deux autres bataillons marchaient derrière, moins bien vêtus mais tout aussi fringans, et je revins de ma stupeur quand je reconnus tout à coup mon oncle don Joaquin qui chevauchait entre les files. Le curé de Lesaca avait endossé une longue redingote noire, avec des bottes et un petit chapeau de feutre à l’aragonaise. Il passa sans prendre garde à moi, et j’admirai à mon aise sa tenue de campagne. Le curé ne portait point d’armes; j’appris ensuite qu’il mettait dans les fontes de sa selle, en guise de pistolets, son bréviaire et quelques médicamens pour les blessés.

Quand les bataillons se furent rangés sur la place, Zumalacarreguy passa à cheval devant leur front avec cet air de commandement qui ne le quittait pas. Ses soldats restaient muets, mais tous leurs regards attachés sur lui, comme s’il les eût fascinés.

Je profitai de ce moment pour m’avancer le cœur battant vers mon oncle, qui venait de mettre pied à terre dans un coin, et je lui souhaitai le bonjour. Il me regarda en fronçant le sourcil : — Que fais-tu ici. Manuel? Où sont tes armes?

— On va me les donner tout à l’heure, dis-je avec assurance,

— Tu es donc des nôtres? Depuis quand?

— Depuis une minute, mais jusqu’à la mort.

Je parlais d’un ton si résolu que mon oncle fut d’abord interdit, puis il m’ouvrit les bras en souriant.

— Enfin, mon cher enfant, dit-il, je te reconnais. Je savais bien que je retrouverais le sang des Haristeghia.

Je fus assez madré pour dire à don Joaquin que ma mère m’avait