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jusqu’alors retenu auprès d’elle, et je demandai à être enrôlé sur l’heure. Mon oncle me fit observer que j’étais Français, et que le capitaine-général pouvait seul permettre mon engagement dans l’armée royale. Il me promit de me présenter le soir même à Zumalacarreguy.

La nuit tombait. Le clairon appela les volontaires, qui formèrent le cercle par compagnies autour de leurs sergens-majors, et récitèrent la prière du soir. Le sous-officier commençait le Pater et l’Ave du rosaire et les soldats achevaient d’une voix grave le pieux refrain. Çà et là des torches éclairaient ces groupes de soldats dont les mâles visages se recueillaient dans la prière. Ç’a toujours été l’usage de notre armée, quelque part qu’elle fût, et l’on aurait interrompu une marche forcée plutôt que d’y manquer. Le chapelet terminé, les soldats se dispersèrent pour dormir dans les maisons de la ville.

Je suivis don Joaquin à l’errico-etchea, au palais municipal, où logeait l’état-major. Nous traversâmes une chambre pleine de sous-officiers et de paysans confidentes qui attendaient des ordres, et l’on introduisit aussitôt mon oncle dans la salle même où se tenait le général. Il y avait là autour de lui, sous un pauvre quinquet, une dizaine d’officiers bottés et armés, tous d’un aspect plus farouche l’un que l’autre, qui discutaient ensemble, debout comme les vieux Cantabres dans le bilzaar national. Un volontaire leur apprêtait sur une table voisine un frugal repas de jambon et de garbanzos. Dès qu’on annonça mon oncle, les officiers s’écartèrent, et le capitaine-général s’avança vers lui d’un air affable. J’étais plus ému que si je me fusse trouvé devant le roi d’Espagne.

— Don Thomas, lui dit mon oncle, je t’amène le neveu des Haristeghia. Il est né Français, mais il a le cœur navarrais. Si tu veux, il servira dans l’armée royale.

Don Thomas fixa sur moi un regard perçant dont je me sentis pénétré jusqu’au fond de l’âme, mais je ne baissai pas les yeux.

— Jeune homme, dit le général après m’avoir ainsi regardé un instant, ton oncle don Pablo a été tué près de moi à Tolva et don Luiz un peu plus loin le même jour. Tous deux se battaient comme des Basques de vieille race. Es-tu prêt à les imiter?

— Oui, mon général, répondis-je tout rouge d’orgueil.

— Dans quel bataillon veux-tu t’enrôler ?

— Dans celui qui porte le drapeau noir.

— Ah ! dit le général en souriant, as-tu vu l’emblème de ce drapeau (il y avait dessus, brodés en couleur jaune, un crâne et des ossemens) ? C’est le bataillon de la Mort. Il ne fait jamais de quartier, mais aussi il est toujours en première ligne, et… ses rangs se renouvellent souvent.