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un caractère plus féminin, se présente à nous Vassilissa, la fille de Mikoula. Elle ne s’en va point rôder par la steppe avec une massue de plusieurs mille livres sur l’épaule pour narguer les bogatyrs; mais elle sait unir la force à la ruse quand il s’agit d’ouvrir la prison de son mari Stavre Godinovitch. Un jour, les vaillans de Kief sont assis à la table de Vladimir : de même que les paladins de Charlemagne, ils se laissent aller volontiers à fanfaronner, à faire des gabs, comme diraient nos vieux trouvères. « L’un se vante de son trésor qu’on ne peut compter, l’autre de son illustre patrie, celui-ci de son bon cheval, celui-là de son courage héroïque; le sage se loue de son vieux père et de sa vieille mère, le fou, l’imbécile fait l’éloge de sa jeune femme. — Et toi, Stavre Godinovitch, demande Vladimir, tu n’as donc rien dont tu puisses te vanter? — Je ne puis me vanter que de ma jeune femme Vassilissa ; dans la ville de Kief, elle se jouerait de vous tous, princes et boïars; toi, Vladimir, elle te prendrait pour dupe. » Pour cette vanterie, le maître ordonne de saisir Stavre, le bon musicien, et de le jeter dans un cachot. La nouvelle en est bientôt portée à Vassilissa. Alors elle tient ses yeux fixés sur la terre humide et réfléchit profondément. « Je ne puis le reprendre de vive force ; il faut le délivrer par ruse féminine et heureuse audace. » Elle coupe ses longs cheveux, revêt des habits d’homme et se rend à la cour de Vladimir. Elle est entrée orgueilleusement, sans se soucier des gardes de la porte, franchissant les fossés et les tours de la ville, à la façon héroïque, d’un seul bond de son cheval. Elle s’annonce comme un messager terrible de la Horde, et comme un épouseur pour la belle Zabava. Vladimir l’accueille avec une crainte respectueuse; mais les yeux exercés de Zabava trouvent cette démarche, ces manières, bien peu viriles. Elle avertit le prince de ne point lui donner une femme pour mari. Vladimir promet de prendre ses renseignemens ; il soumet donc Vassilissa à toutes les épreuves compatibles avec le respect que l’on doit à un messager terrible. Il l’invite d’abord à venir aux étuves avec lui ; mais Vassilissa y court si promptement, y prend un bain si court et s’y rajuste si prestement qu’elle est déjà de retour quand le prince de Kief se dispose à y entrer. Alors il s’avise d’un moyen fort ingénieux. Il invitera l’ambassadeur à se reposer sur un moelleux lit de plume : ensuite il examinera les empreintes que les membres du dormeur y auront laissées. Si c’est un fort et robuste héros, il y aura un large creux sous les épaules ; si c’est une femme, il y aura un large creux sous les hanches ; mais Vassilissa a soin de se coucher la tête au pied du lit. Vladimir est ensuite bien obligé de constater que les empreintes annoncent un héros aux larges épaules, aux hanches étroites. Zabava ne se rend pas à cette démonstration : elle a si peur d’épouser une femme ! L’étranger est invité à faire