Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de n’avoir pas essayé mon fusil. Depuis ce moment-là, mon ami, j’oubliai tout, je devins soldat de la tête aux pieds, et il ne fallait pas l’être à demi avec Zumalikarra !

Tenez, ce fut trois ou quatre jours après cette première rencontre que je fus mis de faction une nuit à sa porte dans un hameau de la sierra de Andias où nous étions cantonnés. Il faisait un froid aigu, et je grelottais, n’ayant pas de capote. Au milieu de la nuit, la porte de la maisonnette s’ouvre brusquement, le général sort à moitié nu et saute sur mon fusil en me criant : — Malheureux ! n’entends-tu pas du bruit? — Je lui répondis en l’écartant avec respect : — Don Thomas, reposez-vous et laissez-moi faire mon devoir. Vous n’entendez que les mulets qui nous apportent les vivres. — En effet nous vîmes arriver le convoi d’un village voisin. Le général, qui m’avait reconnu, rentra dans la maison sans dire un mot, et depuis lors me prit en grande amitié.

Je vous cite ce trait parce qu’il peint l’homme qui veillait à tout et ne connaissait pas le repos. Croyez-vous que personne ait jamais fait la guerre comme Zumalacarreguy? Quelques-uns, César, Turenne, Napoléon, et qui encore?.. Je l’ai vu, ce terrible génie, avec deux mille hommes mal équipés et souvent sans cartouches, tenir tête à trois armées et lasser tous les généraux de Christine, — puis peu à peu, sans argent, sans ateliers, sans la moindre place forte, créer quinze bataillons dont il avait tout pris aux christinos, hormis les soldats.

Je vous ai raconté déjà nos merveilleuses campagnes, ces batailles sanglantes d’Allegria, d’Arquijas, de Mendaza, des Amescoas. Après cette dernière journée, le général écrivait dans son rapport : « Gloire au 3e bataillon de Navarre, dont l’enthousiasme et l’impétuosité dans les combats ne peuvent être égalés! » Ah! mon ami, quelles magnifiques et terribles charges que les nôtres ! Il ne fallait pas nous tenir longtemps sous le feu. Le fusil au poing, le couteau entre les dents, nous nous jetions comme des loups sur les Castillans pour tuer, pour éventrer tout ce qui ne fuyait pas, arraîo !.. Mais c’étaient nos jours de fête, et don Thomas ne les prodiguait point; il aimait mieux consumer l’ennemi par la fatigue. Aussi nous ne restions pas trois jours dans le même gîte. Toujours en mouvement, toujours à courir par les cols des sierras; le soir, en vue des factionnaires christinos, le lendemain matin à vingt lieues de là pour en surprendre d’autres. Et pas un de nous ne songeait à se plaindre, bien au contraire. Ah! ce fut là le printemps de ma vie!

Le vieux guérillero s’arrêta, huma quelques bouffées de cigarette et me dit : — Avez-vous fait la guerre?

— Pas assez pour la bien connaître, répondis-je, mais assez pour l’aimer.