Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne répondis rien, et me tournai vers don Joaquin comme pour lui demander de plaider ma cause.

— Don Thomas, dit mon oncle, laisse-le faire. Bon sang ne peut mentir.

Zumalacarreguy, sans rien ajouter, me tendit la main. Quand je sentis la mienne dans cette main vaillante, une sorte de frisson me parcourut le corps. Le génie de la guerre incarné devant moi me fascinait, et je me donnai à lui tout entier. Ainsi se réalisaient mes songes d’enfance.

On me donna le soir même le fusil d’un volontaire abandonné à l’hôpital, c’est-à-dire aux christinos, on m’incorpora dans le bataillon de la Mort, le 3e de Navarre, et j’allai me jeter sur un lit près de mon oncle pour dormir un peu avant le départ. Don Joaquin se chargea d’écrire à ma mère une lettre qu’il remit au fidèle Bidarray : j’étais sûr de mon pardon.

A trois heures, don Joaquin m’éveilla, et je fus des premiers dans le rang à l’appel. Nous sortîmes de Goyzueta sans bruit pour ne pas donner l’éveil aux espions ennemis. Je crus marcher au combat et ne me sentis pas d’aise; mais quelques heures après, quand je m’aperçus que je tournais le dos à nos montagnes, mon cœur se serra. L’image de Paula se présenta tout à coup à ma pensée, et des larmes me vinrent aux yeux. Je les cachai pour éviter les railleries de mes anciens amis que je retrouvais près de moi devenus d’insoucians et rudes compagnons. Un moment, je me repentis de ma résolution subite; il était trop tard pour revenir sur mes pas, et l’ennemi se chargea bientôt de me rendre du cœur.

Nous avions passé à Lecumberri et traversé la sierra d’Aralar, nous dirigeant vers la Basse-Amescoa. Je supportai si bien la fatigue de deux longues étapes à travers les rochers et la neige que l’on ne me traitait déjà plus de conscrit. Zumalacarreguy, en suivant une vallée parallèle, avait dérobé sa marche aux troupes d’Oraa, qui le serraient de près. Le second jour, vers le soir, comme nous approchions d’Echarri-Aranaz, nos éclaireurs signalèrent les avant-postes ennemis. C’était la colonne de Lorenzo, qui voulait nous barrer le passage. Le capitaine-général déploya aussitôt ses bataillons sur une position avantageuse, et je vis pour la première fois les christinos. Ils nous attendaient à une portée de canon. A leur aspect, les volontaires poussèrent des cris de joie et, le fusil à la main, se mirent à danser le mutchico; je fis comme eux. C’était notre façon d’attendre l’ennemi. Lorenzo, qui avait des pièces de montagne, nous envoya des obus. Ce bruit du canon me transporta, et je criai plus fort que les autres : En avant! en avant la Navarre! Aï, aï, Nafarroa! Nous partîmes en effet à la baïonnette, mais l’ennemi ne nous attendit pas et se déroba dans les bois. J’enrageais