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Mon bataillon, partagé entre Fontarabie et Irun, surveillait le cours de la Bidassoa et le petit fort que les christinos tenaient encore, sous le couvert des Français, à la tête du pont de Béhobie. Nous passions le temps à couler bas ou à capturer les barques qui entraient dans la rivière à leur adresse; d’autres y entraient pour nous, et c’étaient les plus nombreuses. Au bout de quelques semaines, cet emploi de douanier me fatigua. On apprit la victoire d’Ernani remportée par l’infant don Sébastien. J’allai trouver Ituritza et lui demandai de me renvoyer à l’armée, parce que je m’ennuyais à ne rien faire. Il me répondit que tous les officiers de mon bataillon lui faisaient la même demande, mais qu’il trouverait moyen de m’occuper. En effet, quelques jours après il m’appela et me dit :

— Sorrondo, j’ai besoin de toi. Voici quelque temps que les contrebandiers n’apportent plus de salpêtre : nous allons manquer de cartouches. Le quartier-général fait réclamer aussi du drap de Bayonne que ces coquins de marchands n’envoient pas. Il faudrait aller réveiller le zèle des chefs de la contrebande, et je serais bien aise aussi de connaître la force et les positions des Français. Comme tu es du Labourd, j’ai pensé à toi pour cette mission, qui ne laisse pas d’être périlleuse, car, si tu es pris, tu seras envoyé dans quelque forteresse.

L’envie que j’avais de sortir du repos me fit accepter aussitôt cette tâche un peu difficile pour moi, et, en allant à Vera prendre quelques instructions, j’eus la chance de rencontrer un espion des Français fait prisonnier deux jours avant, un colporteur de Sare que je connaissais bien. Je pris ses vêtemens, son passeport et son mulet. Je chargeai l’animal de belles cerises, qui mûrissent à Irun plus tôt qu’en France (on était dans les premiers jours de mai), et cachai mes dépêches dans son bât. Puis je m’acheminai vers Saint-Jean-de-Luz par le col de Liçarlan, au-dessus de Biriatou, sentier toujours fréquenté et par conséquent moins suspect.

Un douanier et quelques soldats m’arrêtèrent. Je montrai mon passeport, et l’explication fut d’autant plus facile qu’il faisait chaud et que je laissai picorer ma marchandise. La frontière passée, je n’avais guère de dangers à redouter, et j’allai bravement vendre mes cerises au marché de Saint-Jean-de-Luz, où j’arrivai dans la matinée.

Nous avions là plusieurs amis dévoués, et il me fut aisé de leur exprimer les plaintes de mes chefs. Ils me promirent de les transmettre aux fournisseurs de Bayonne, découragés sans doute par l’inaction de l’armée carliste. Ces gens-là mesuraient toujours leur zèle et leurs services à nos chances de succès.

J’essayai alors de donner un coup d’œil aux troupes qui remplissaient la ville, espérant bien n’être reconnu de personne, déguisé