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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/682

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appelé à Irun pour prendre part à une attaque contre le fortin de Béhobie, il envahit le bourg d’Alzate, à la porte de Vera. L’attaque du fort n’ayant pas mieux réussi qu’à l’ordinaire, je revenais avec ma colonne, lorsqu’en approchant de Vera je fus averti de ce qui se passait là. Je pris un détour pour attaquer les peseteros en leur coupant la retraite. Je les trouvai à Alzate en train de brûler le couvent des capucins, vide par bonheur, car tous les religieux avaient pris les armes depuis longtemps. Les bandits essayèrent de se défendre dans le village, mais ce fut bientôt fait de les déloger. Alors Garmendia, se voyant tourné du côté d’Elizondo, battit en retraite vers la frontière de France, où il savait bien qu’il trouverait un passage. Irrité de son audace, je le poursuivis avec plus d’ardeur que de prudence, car tout à coup sa troupe fit volte-face et nous envoya une décharge presqu’à bout portant. Plusieurs de mes hommes tombèrent tués ou blessés, moi-même je roulai avec une balle dans le flanc. Je me relevai cependant et voulais poursuivre, mais je m’aperçus que j’étais sur le sol français : une troupe de voltigeurs descendait en courant d’une crête voisine pour nous envelopper. Nous étions justement près du col d’Ibardin, sur le chemin d’Olhette. Je criai à mon lieutenant de ramener aussitôt ses hommes en Navarre, ce qu’il exécuta à merveille; les peseteros se retirèrent tranquillement d’un autre côté. Un lieutenant français vint à moi et me dit poliment que j’étais son prisonnier, mais qu’il me laissait mon sabre. Vous savez que, depuis la convention signée entre Zumalacarreguy et lord Elliot, les carlistes étaient partout traités de belligérans.

L’officier, me voyant pâle et sanglant, m’offrit de me faire transporter, car il m’eût été difficile de marcher sur ce terrain montueux. Les voltigeurs firent des brancards avec quelques tiges de hêtres et nous portèrent, moi et deux autres blessés. Je demandai alors au lieutenant s’il s’était trouvé là par hasard. Il me répondit que non, qu’il avait reçu un avis de Garmendia, et que sa consigne était de prêter main-forte aux christinos. Il me traita d’ailleurs avec une grande politesse, m’apprit qu’il commandait le détachement d’Ascain et m’offrit de me faire soigner chez le maire du village, en attendant qu’on pût me porter à l’hôpital de Saint-Jean-de-Luz. Ce fut un premier baume sur ma plaie d’apprendre que j’allais voir Paula, car je savais bien qu’elle ne s’effraierait pas de ma blessure; comme l’officier me demanda mon nom, j’eus assez de présence d’esprit pour répondre que je m’appelais Haristeghia et que j’étais de Lesaca. En approchant du village, j’appelai le premier garçon qui se présenta, je lui demandai en basque de courir à Aguerria prévenir l’etchecanderea qu’on lui apportait don Manuel légèrement blessé, et fis accroire à l’officier que j’envoyais ce messager à Sare chez des parens. Connaissant les mœurs du pays, il ne s’étonna de rien.