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outrageusement la main d’une jeune fille, court au palais de celle-ci, en brise les portes à coups de massue, extermine ses neuf frères en bataille et ramène la belle attachée à son étrier. Il se demande s’il fera d’elle sa servante ou son épouse; enfin il se décide à se montrer généreux. L’homme, à l’époque patriarcale, abusait cruellement de sa force contre la femme; l’épopée est ici d’accord avec l’histoire. La femme de Donnaï a osé se vanter de mieux tirer de l’arc que son mari. Singulier trait de rapprochement avec la légende de Guillaume Tell, Dounaï place sur sa tête un anneau d’or que sa femme enlève trois fois de sa flèche d’acier. Alors le héros, jaloux et humilié de la supériorité de sa compagne, tend son arc et la vise au cœur. Elle le supplie de l’épargner dans l’intérêt du héros qu’elle porte dans son sein. Par les châtimens qu’elle sollicite afin d’éviter la mort, on voit à quel excès pouvait se porter la puissance maritale. « Hélas! Dounaï Ivanovitch, inflige-moi plutôt trois châtimens. Pour le premier, plonge ta cravache de soie dans la poix bouillante, flagelle mon corps nu; pour le second, saisis-moi par mes longs cheveux, attache-moi à ton étrier et lance ton cheval dans la campagne rase; pour le troisième, ensevelis-moi jusqu’à la ceinture dans la terre humide, fais-moi endurer la faim, nourris-moi de pain d’avoine. Que je reste trois mois en cet état jusqu’à ce que ton fils soit venu au monde. »

A côté de ces scènes violentes, nous voyons la jeune fille gardée précieusement dans le terem, dont les lambris sont ornés du beau soleil, de la lune brillante, des étoiles nombreuses. A côté de la polénitsa vagabonde, voici la jeune princesse tenue à une pudique réserve. Zabava, charmée par les sons harmonieux d’un héros-musicien, un roi de mer qui est venu visiter Vladimir, ose lui offrir sa main. Le pirate se croit obligé de lui donner une leçon de convenance : « Écoute, jeune princesse Zabava, tout m’inspire en toi de l’amour; mais ce qui en toi ne me plaît pas, c’est que tu aies fait, toi, une jeune fille, les avances pour ton mariage. » Rien de plus auguste que la matrone héroïque, veuve de héros, mère d’un héros. Les bylines sont ici d’accord avec les monumens du droit et de l’histoire. La veuve-mère est souveraine chez elle, honorée de tous, vénérée de son fils. Ainsi nous apparaissent la mère de Dobryna, celle de Diouk Stépanovitch, celle du roi de mer Soloveï, celle du ravisseur de jeunes filles, Khotène, fils de Bloud. C’est à leur mère que les héros demandent conseil, c’est dans son sein qu’ils épanchent leur douleur, c’est avec sa bénédiction qu’ils se mettent en campagne. La mère de Dobryna vient de ses propres mains prendre le cheval de celui-ci pour le conduire à l’écurie; au contraire celle de Diouk est entourée d’une armée de serviteurs; trente jeunes filles la soutiennent sous chaque bras; quand elle revient de l’église, sur