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sa tête on tient des parasols, sous ses pieds on étend de riches draperies; ses servantes ont l’air d’impératrices. Dans cette diversité de situation, Dobryna et Diouk ont une égale vénération pour la personne sacrée de la veuve-mère. On voit même le pouvoir maternel aller jusqu’à l’abus : la mère d’Ivan Gostiny livre son fils à des marchands d’outre-mer qui le vendront comme esclave.

Il est un personnage féminin dans lequel se résument les traits épars que nous avons étudiés dans les différens types d’héroïnes. C’est Apraxie, la compagne de Vladimir. Elle est fille du roi de Lithuanie, par conséquent Lithuanienne, — ou Tatare, ce qui revient au même dans les bylines. Quand les bogatyrs partent pour l’enlever à son père, ils font en ces termes son portrait à l’amoureux Vladimir : « Elle est haute de taille, imposante de stature, admirable de visage. Elle a une démarche menue et la parole harmonieuse. Tu auras en elle, prince, une compagne avec laquelle tu pourras délibérer et te conseiller et abréger la longueur des jours. Tous les princes, tous les boïars, tous les forts bogatyrs de Kief auront devant qui s’incliner. » En effet, Apraxie trône à côté de Vladimir, préside avec lui les nobles festins, mangeant la chair du cygne blanc et buvant le doux hydromel. A elle aussi s’adresse le profond salut des héros. Pourtant l’épouse du Beau-Soleil a une tache originelle ; l’impureté du sang paternel se manifeste en elle par toute sorte d’actes répréhensibles. Elle se fait « l’entremetteuse » du mariage d’Alécha avec la femme de Dobryna. Comme la femme d’Arthur et quelquefois celle de Charlemagne, il n’est que trop facile de la rendre infidèle! Quand Vladimir amène à sa cour Tchourila, la princesse ne met aucune retenue dans l’expression de ses sentimens pour le bel étranger. A table, elle se coupe le doigt de son couteau. « Ne vous étonnez pas, ô nobles femmes, si je me suis blessée à la blanche main. Je regardais la beauté de Tchourila; je regardais ses boucles blondes, et mes yeux brillans se sont troublés. » Avec la même impudeur naïve, elle demande à Vladimir de faire de Tchourila son chambellan. Dans une autre de ses aventures, on retrouve deux traits caractéristiques du récit biblique sur Joseph : d’une part, la coupe d’argent cachée dans le sac de Benjamin ; d’autre part, la fausse accusation de la femme de Putiphar contre le chaste Hébreu, trait primitif qui se reproduit dans le roman égyptien des Deux Frères, publié par M. de Bougé, dans les légendes grecques sur Phèdre et Hippolyte, sur Antéia et Bellérophon. Un jour, quarante kaliki pérékhojé[1] vont en pèlerinage à Jérusalem. Ils ont élu pour leur ataman Thomas Ivanovitch et fait un règlement

  1. Chanteurs errans, pèlerins.