Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle a été la science d’Amédée Thierry ; voyons-le, dans les divers ouvrages qu’il a consacrés à l’étude du IVe et du Ve siècle, faire preuve d’éminentes qualités, différentes à plus d’un titre de celles dont ses premiers livres nous avaient offert les témoignages. Son talent va changer d’aspect : aux grandes vues générales, aux remarquables efforts d’une puissante synthèse, aux théories et aux systèmes, aux vastes tableaux de deux grandes civilisations, celle de l’ancienne Gaule, celle de Rome païenne, vont succéder de fines analyses de caractères et de mœurs, de curieux récits mettant en scène et faisant revivre sous nos yeux les personnages de ces anciens temps, avec leur costume, leur langage, leurs passions. Les passions humaines sont, après tout, ce qui engendre les grands faits de l’histoire, qu’on voit se dessiner peu à peu sur cette trame vivante, toute morale et humaine.

Démembrement et ruine de l’antique domination de Rome, invasion des barbares, chute définitive de l’édifice païen et triomphe du christianisme, tels sont les grands changemens qui occupent la période formée par le IVe et le Ve siècle. Ils ne se sont pas accomplis sans donner lieu à de vives agitations morales, jalousies et haines, dévoûmens et regrets, religieuses espérances, déceptions amères. Nulle scène, pour l’historien qui aurait le courage d’y pénétrer, pour qui conserverait, au milieu d’une mêlée si ardente, une vue calme et maîtresse d’elle-même, ne devait être plus féconde.

Le plus puissant levain de toute époque est l’idée religieuse. Elle exalte et soulève, elle transporte et fanatise, elle enfante également la charité sublime, le renoncement du martyre, les élans et les écarts du mysticisme, les excès de l’intolérance, la persécution. Là où elle brille, se concentrent bientôt l’émotion et la vie. Or il y a peu de siècles dans l’histoire où la lutte des intérêts religieux ait produit des effets aussi complexes que pendant la période étudiée par Amédée Thierry. Il a dû s’attacher d’abord à expliquer et à décrire ces effets; de là sont issus avant tout ses deux remarquables livres sur saint Jérôme et saint Jean Chrysostome. Le premier avait pour objet de dépeindre la société chrétienne de l’Occident, le second celle de l’Orient.

On n’attend pas que nous refassions l’analyse de récits que tout le monde a lus ici même : nous voudrions seulement indiquer comment ils nous instruisent et de quelle méthode ils procèdent. Saint Jérôme et saint Chrysostome ont exercé tous les deux une puissante action sur leur siècle par des moyens divers. Le premier, après avoir acquis toute la science de son temps, après s’être épris à toujours de littérature antique, court au désert, y accomplit ses grands travaux d’exégèse, et de là, dans les lettres qu’il adresse à Rome, décrit l’âpre jouissance et la suprême sainteté de la solitude en Jésus-Christ,