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avec un tel enivrement d’éloquence convaincue que toute une partie de la haute société romaine abjure pour le suivre la richesse et la volupté. Qui ne se rappelle ces pieuses figures de matrones, Marcella, Paula, Eustochium, Furia, Fabiola, qui changent en un sévère couvent la riche demeure de l’Aventin et forment au saint, dans Rome même, une église domestique avant de le suivre en Palestine pour y fonder avec lui des associations religieuses et l’assister jusque dans ses études hébraïques ou syriaques? Ces travaux d’érudition sacrée, ces ardentes conversions de l’aristocratie romaine, courant à la pénitence pour y puiser une nouvelle vie, ce sont bien là les traits les plus vivans de cette société occidentale, au milieu de laquelle le paganisme conserve encore un vaste empire : il y faut des coups d’autant plus éclatans, qui viennent frapper les âmes d’élite et sachent tout ébranler autour d’elles et par elles.

Saint Jean Chrysostome, lui, né dans un des foyers les plus actifs de la civilisation grecque, à Antioche, n’est pas fait pour la solitude. Il la recherche d’abord comme la vraie source des hautes pensées, mais promptement la vie pratique le réclame, c’est-à-dire la charité et l’ardente pitié. Tandis que saint Jérôme convertit par ses savans écrits d’exégèse des consciences raffinées, saint Jean Chrysostome, lui, prêche et enivre le peuple des villes. Du haut de son siège de Constantinople, avec des accens et des éclats de tribun, il prend la défense des petits et des humbles contre les gens de cour, contre les mauvais évêques, contre l’impératrice Eudoxie, celle qu’il appelle publiquement la nouvelle Hérodiade. Sa vie n’est qu’un long combat qui attire sur lui d’affreuses violences, enlèvement, exil, transportation aux extrémités du monde romain, mort cruelle sous les étreintes de la fièvre, entre les mains des soldats. Et ce même homme qu’on a pu comparer aux Gracques, qui tenait dans sa main tout le peuple de Constantinople et pouvait le soulever d’un mot, s’est gardé de prononcer jamais ce mot formidable; aux éclats de sa parole populaire, qui traitait de la morale et du dogme bien plutôt que des arguties théologiques, il a mêlé des accens d’une incomparable douceur, auxquels il a dû ces profonds sentimens d’affection filiale qui ont confondu bien des âmes avec la sienne. Il faut se rappeler particulièrement la très fine étude qu’Amédée Thierry a faite des dix-sept lettres de Chrysostome à sa chère diaconesse Olympias. Ces lettres ou traités étaient célèbres dans l’antiquité même pour la hauteur des pensées et la beauté du style; elles étaient comptées par l’église d’Orient entre les plus belles perles de sa couronne. Olympias est triste, triste des infortunes et des souffrances de celui qu’elle respecte comme un père, triste du triomphe de la violence et de l’iniquité. Saint Jean Chrysostome la console, non plus à la manière des anciens rhéteurs, pour qui ce secourable office était devenu