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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/708

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un genre littéraire, qui oubliaient de grands maux s’ils savaient par cœur un grand nombre de morceaux consolatoires, et croyaient facile de préparer aux âmes souffrantes, du milieu des prospérités et de la richesse, des recettes efficaces. Chrysostome, lui, parle d’une souffrance que personnellement il endure; s’il sait la dominer pour lui-même, n’enseignera-t-il pas à d’autres les moyens de la dominer? Sa doctrine est autre que celle du stoïcisme antique. Il ne dit pas seulement : Méprisez la douleur et méprisez ceux qui vous l’infligent sans raison; il dit : «Mettez du prix à votre souffrance, et ne murmurez pas à l’excès contre les circonstances ou les hommes qui se trouvent en devenir les instrumens. Offrez-la au contraire en holocauste ou en remercîment à Dieu même, car, dans les desseins de sa providence, elle a pour fin votre progrès vers un but éternel ou bien le salut des autres hommes et l’ordre moral du monde; vos tribulations peuvent être ce que sont la tempête pour épurer l’air vicié, l’hiver et les frimas pour sauvegarder et mûrir le grain sous la terre, la nuit pour raviver nos corps. Soyez les ouvriers obéissans d’une œuvre sublime qui deviendra vôtre par le bon vouloir et par la récompense finale; marchez le front levé dans les traverses de la vie, non-seulement avec résignation, mais avec allégresse, avec actions de grâces pour la Providence, qui nous conduit toujours au bonheur quand nous aimons le bien. » Voilà certes une doctrine nouvelle que ne connaissait pas le paganisme; nouvelles aussi, à vrai dire, sont et la douleur qu’elle veut calmer et la relation que révèle ce dialogue intime entre deux âmes. Cette relation s’appelle l’amitié spirituelle, la plus haute et la plus sainte des amitiés, et cette douleur s’appelle la tristesse chrétienne, celle dont l’âme pouvait bien être saisie alors que, repliée sur elle-même par le christianisme, elle apercevait le contraste de son humilité avec les horizons immenses qui lui étaient ouverts.

Nous ne faisons, à vraiment parler, qu’analyser un chapitre d’Amédée Thierry. Qui pourra dire que ces pages d’observation psychologique et morale, se mêlant à l’histoire religieuse, ne soient pas de nature à éclairer d’un jour inattendu et nécessaire le tableau général du IVe et du Ve siècle ? L’éclosion et le premier essor des plus hautes idées, des sentimens les plus intimes qui doivent inspirer une époque, ne sont-ils pas de ces principaux traits que l’historien doit d’abord recueillir? Qui pourtant, avant Amédée Thierry, avait entrepris de montrer l’influence et l’action de ces sentimens et de ces idées sur la même scène où s’agitaient les événemens purement politiques d’une si intéressante époque? On eût cru jadis se montrer médiocrement respectueux envers la mémoire des pères de l’église et des saints en mêlant de propos délibéré au récit de leur vie la peinture de leur temps. On s’apercevait bien de la sécheresse