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C’est dans les chroniqueurs byzantins qu’Amédée Thierry a trouvé les élémens de ces sortes de peintures, mais seulement à l’état d’indications éparses, qu’il a fallu deviner, réunir, interpréter, et qui ne prenaient que par des rapprochemens ingénieux la couleur et la vie. N’est-il pas vrai cependant que de telles pages font revivre à nos yeux la vie morale des temps passés? n’est-il pas vrai que nous avons ici une vue intéressante et directe d’une des plus curieuses formes qu’affectait l’introduction des barbares dans l’empire? Et ne faut-il pas à l’historien, pour animer ainsi de simples textes d’annalistes à peu près inconsciens, cette sorte d’imagination qui, inspirée par une science profonde et un juste sentiment des idées et des mœurs, fait pressentir et saisir à coup sûr tout ce que ces textes contiennent de couleur locale et d’exacte réalité? Les caractères de femmes, curieuses de toutes les nouveautés, ne manqueront pas au milieu de cette barbarie qui incline vers la civilisation, depuis Eudoxie jusqu’à l’humble affranchie d’Ausone, Bissula, aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Plusieurs de ces Germains sont devenus, parmi la société romaine, des savans ou des poètes : le Franc Mellobaude a mérité par ses vers une statue en plein forum ; le Goth Fravitta excellait par son goût vraiment attique. D’autres en revanche conservaient leur grossièreté native, comme ce Goth Sarus, auquel il fallut, quand on voulut se rendre maître de lui, jeter le lacet, comme fait le chasseur à la bête fauve. Un grand nombre, la plèbe infime de ces Francs et de ces Goths, se pliaient aux divers métiers dans les grandes villes : « Il n’y a pas une seule de nos familles, écrit l’évêque Synésius au commencement du Ve siècle, où quelque Goth ne soit homme de service. Le maçon, le porteur d’eau, le portefaix sont des Goths. »

Les naturalistes observent avec curiosité, sur certains rivages baignés par les eaux sous les ardeurs du soleil, des flores et des faunes étranges qui naissent d’incessantes et fécondes infiltrations; de même l’introduction des élémens germaniques peu à peu mêlés à la civilisation romaine, dans un temps où celle-ci n’exerçait plus comme autrefois une absorbante influence, a donné lieu à une multitude de formes et de combinaisons morales dont il pourrait être un jour à propos de faire une étude complète; on aurait ainsi une page importante et nouvelle de l’histoire de l’invasion germanique. A vrai dire toutefois, sans composer à ce sujet une dissertation expresse, Amédée Thierry a tracé, au moins pour les grands traits, cette histoire spéciale dans le cadre plus compréhensif et plus large d’un tableau de la société romaine aux IVe et Ve siècles. Nul n’a fait plus que lui un équitable et intelligent appel à toutes les sources de lumière et d’intérêt, nul n’a mieux su féconder par une patience infatigable et un travail dévoué, mais en même temps par une ingénieuse