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que les États-Unis ont fait pour eux-mêmes. Préciser les droits des belligérans en pays ennemi, définir les rapports d’une armée d’invasion avec les populations civiles, régler toutes ces questions d’occupation militaire, de réquisition, d’otages, de bombardement, de traitement dû aux prisonniers de guerre, c’est là l’immense programme soumis au congrès de Bruxelles, Assurément rien n’est plus humain et plus noble que de vouloir adoucir les maux de la guerre, de chercher à sauvegarder les intérêts des populations inoffensives livrées à l’arbitraire de toutes les passions brutales, La difficulté est de fixer des règles dénuées de toute sanction. L’essentiel est de ne point faire un code qui tournerait au profit de la force et des envahisseurs, qui n’aurait d’autre résultat que de faciliter l’œuvre d’une armée conquérante. Il est clair que, si une province momentanément envahie devait acheter la sécurité restreinte et équivoque qu’on lui promettrait par une sorte d’abdication temporaire de sa nationalité, le code qui se prépare deviendrait tout simplement un complice de l’invasion, un instrument légal pour la force victorieuse, un moyen de préparer la conquête définitive. Il ne faudrait pas aller bien loin pour trouver des exemples, La guerre a laissé des souvenirs et des enseignemens qui ne sont perdus pour personne.

Ce n’est point sans une certaine hésitation assez visible que la plupart des gouvernemens ont accueilli la proposition de la Russie. L’Angleterre, peu accoutumée à se lier par des engagemens de ce genre, a fait de telles réserves que sa présence au congrès de Bruxelles ressemble à un acte de courtoisie pour l’empereur Alexandre II encore plus qu’à l’acceptation du principe d’un nouveau code de la guerre. En France, en Suisse, le projet russe a rencontré des sympathies tempérées par une assez sérieuse défiance. On accepte sans doute des règles d’humanité et d’équité qu’on pratique spontanément, même lorsqu’elles ne sont pas dans un code ; on craint, en allant plus loin, d’aliéner des droits de défense légitime et d’indépendance, de donner des armes à des vainqueurs. Nous ne parlons pas de ceux qui trouvent qu’améliorer la condition des prisonniers c’est affaiblir l’esprit militaire et favoriser peut-être les désertions ou les défaillances dans une armée. Tout cela ne rend pas certainement des plus aisées l’œuvre entreprise à Bruxelles au retentissement et sous l’impression des dernières guerres ; mais cette diplomatie de l’humanité n’aura pas tout à fait perdu son temps, si elle parvient à faire consacrer quelques règles qui un jour ou l’autre pourront épargner des misères à une population livrée aux disputes de la force. Laissons la guerre et ses souvenirs amers ; laissons la politique et ses ennuis de tous les jours, et les passions de parti qui la troublent, et les fanatismes de secte ou les préjugés qui l’enveniment. La meilleure politique entre les peuples, c’est encore celle qui se dégage en quelque sorte spontanément de toute une situation, qui se fonde sur des traditions