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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/755

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le temps d’accentuer leurs gestes en les prolongeant, et la salle trépigne tout entière.

Mangoyémon emmène son fils, et, à vrai dire, la pièce semble finie; mais, semblable à un orateur qui ne fait pas grâce d’un argument, le dramaturge japonais ne peut se résigner à supprimer une scène inutile, pourvu qu’elle soit juste. A peine ont-ils fait quelques pas que le pauvre Djiyé veut revenir. « A quoi bon la revoir, puisque tu ne l’aimes plus? — Je veux encore l’accabler d’injures une dernière fois, je ne lui ai pas tout dit. » Il rentre, et cette fois il commence par des larmes : « Souviens-toi du passé, hélas! je t’aimais tant. » O’Haré ne peut l’entendre longtemps sans se troubler. Une exclamation va la trahir, quand Mangoyémon rentre. » Pas un mot, ou mon fils est perdu, dit-il tout bas à la guécha, et à son fils : — Tu vois, elle se tait et ne peut se défendre; viens. » La toile tombe sur un dernier geste de gratitude et d’hommage du père reconnaissant à la femme sacrifiée.

Il est un rapprochement qui s’impose dès les premiers instans à la vue de cette comédie, et plus d’un lecteur a déjà nommé la Dame aux Camélias. Qu’on supprime les détails et les hors-d’œuvre, c’est l’histoire de Marguerite Gauthier qui se déroule sous nos yeux, et cette identité du sujet fournit une base singulièrement commode pour établir un parallèle entre l’art dramatique japonais et le nôtre. Les mêmes lois fatales s’imposent de part et d’autre : devant cette abnégation de la femme, le rôle de l’amant, ridicule ici, effacé là, reste nécessairement secondaire. A l’inverse, la femme occupe une place trop inférieure pour que le vaudevilliste oriental songe à la mettre en relief : c’est le père qui remplit le grand rôle. C’est l’autorité paternelle qui l’emporte : triomphe fort moral assurément, mais qui laisserait froid un autre public. La pauvre O’Haré ne fait guère que sangloter pendant toute la pièce, sans même expliquer les sentimens qui se partagent son cœur, et semble se sacrifier, bien moins par abnégation que par la soumission d’une pensionnaire intimidée devant un sévère vieillard. Ce père impassible ne doute guère du succès. Il n’emploie ni les supplications ni les larmes; il ordonne plus qu’il ne prie, et il lui suffit d’intervenir pour l’emporter. Voyez-le déchirer la lettre qui justifierait O’Haré; quel public européen accepterait sans révolte une telle brutalité du père d’Armand Duval? Cette action ne soulève ici que des applaudissemens, car elle s’accorde à merveille avec le rôle passif que joue la femme au théâtre comme dans la vie réelle.

Sans nous attarder à un parallèle qu’il nous suffit d’indiquer, parcourons les autres scènes populaires. Ce sont d’abord les théâtres de Shimabara et de Naka-Bashi, où les œuvres du grand répertoire alternent, soit avec de simples ballets sans grand mérite, soit avec