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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/756

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des bouffonneries de courte haleine, où l’introduction récente des coutumes occidentales est sévèrement critiquée.

Tout autre est le caractère des représentations religieuses données aux jours de fête dans les grands temples. En avant du sanctuaire s’élève généralement, sur un soubassement plein, une estrade isolée, à hauteur d’homme. Elle est surmontée d’un toit aux cornes relevées comme tous les anciens monumens du Japon, tantôt fort simple, tantôt élégamment lambrissé suivant la richesse du lieu. Les fermetures extérieures s’enlèvent ainsi que la devanture d’un magasin, et la pièce ainsi formée reste à jour de trois côtés. C’est là que chaque année, quand revient la fête du dieu tutélaire de l’endroit, se jouent à grand renfort de tambourins, de tamtams et de flûtes, des pantomimes bizarres qui indiquent, à ne s’y point tromper, l’origine hiératique de l’art. Ce sont nos anciens mystères donnés sous le porche des cathédrales. De jeunes garçons couverts d’accoutremens voyans, la figure cachée par des masques d’une expression fort comique, jouent, sous les deux sexes, les rôles, généralement muets, de ces grossières pochades. C’est un des régals les plus recherchés de cette foule insouciante et pourtant bigote qui peuple aux jours de réjouissance les abords d’ordinaire déserts des temples; mais je ne sache pas que l’artisan se plaigne, comme le savetier de La Fontaine, que

Monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.

Il adore au contraire ces exhibitions, autant pour elles-mêmes que pour l’excellent prétexte qu’elles fournissent à la paresse. Cet usage s’étend à des sanctuaires de province célèbres, tels que chez nous Sainte-Anne d’Auray ou Notre-Dame de Bon-Secours. Une nuit de l’été dernier, je passais à une vingtaine de lieues d’Yeddo dans le voisinage d’un de ces lieux sacrés, quand je fus attiré vers le centre d’un bois de sapin par une musique bizarre et inexplicable à pareille heure. Des ombres allaient et venaient, et une foule murmurante semblait courir à je ne sais quel nocturne sabbat. C’était une fête qui se donnait à la lueur des torches en l’honneur de Fudo-sama. Les jeunes acteurs avaient fait comme le touriste et choisi pour leur fatigant exercice la fraîcheur relative d’une nuit d’août.

Mais voici mieux. Ce n’est plus le moyen âge, c’est l’antiquité grecque à son tour qui défile devant nous dans ce tableau changeant et fertile en réminiscences, que déroule aux yeux toute civilisation primitive. N’est-ce pas Thespis lui-même qui s’avance là-bas, précédé d’une foule nombreuse qui hurle et tambourine, suivi d’un char que traînent soixante vigoureux gaillards? Sur cette estrade