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Le chœur nous informe que la scène du Plumage de la Fée représente le rivage de la baie de Surunga, au pied du Fusiyama. Un pêcheur décrit, dans un long récitatif, ce site enchanté, le calme de la mer, la sérénité du ciel et le lever du soleil radieux, tandis que la lune brille encore d’un faible éclat. Son âme déborde d’enthousiasme et de cette admiration sincère de la nature qui pénètre toutes les créations de l’art japonais. Un souffle passe cependant sur les eaux; est-ce l’orage qui approche? Non, c’est à peine s’il a ridé la surface, et maintenant un parfum enivrant se répand dans les airs, on dirait une pluie de fleurs mystérieuses accompagnée d’une suave musique. Revenu à lui-même, il aperçoit, accroché à un arbre, le plumage d’une fée. Il le recueille précieusement et va l’emporter pour en faire une relique quand la fée paraît et réclame son bien. Il refuse de rendre son trésor. Désespoir de la déesse. Comment pourra-t-elle remonter au ciel sans ses ailes? Elle raconte les merveilles de ce séjour et porte envie aux oies sauvages et aux mouettes, qui peuvent y voler. Enfin, touché de compassion, le pêcheur consent à lui rendre sa riche parure, mais à une condition, c’est qu’elle dansera devant lui en chantant la musique céleste. Elle y consent, et le pauvre homme est ravi dans une telle extase qu’il se croit transporté dans le paradis et supplie la fée d’y rester avec lui. Puis tous deux entament un cantique en l’honneur de la montagne sans pareille, du divin Fusiyama, qui dresse dans les airs sa tête couverte de neige ; la déesse, soulevée par la brise marine, gravit la montagne d’un battement d’aile et s’évanouit dans un nuage. — Des jardins d’Hama-Goten, où s’exécutait cette poétique idylle, on distinguait, dans le soleil couchant, la majestueuse silhouette du volcan, et les nuages légers retenus sur ses flancs semblaient faire une réalité de cette poétique fiction.

Tel est le caractère mystique des no. Il s’explique par l’origine purement hiératique de ces spectacles. Le premier fut joué il y a des centaines de siècles, s’il faut en croire une tradition sintiste où il est difficile de ne pas reconnaître le mythe universel du soleil. La « grande déesse lumineuse du ciel, » Amatéras, s’était cachée dans une caverne pour échapper aux persécutions de son frère, le dieu de la nuit. Le monde était plongé dans les ténèbres. Les dieux se coalisèrent pour l’arracher à sa retraite. Toutes les industries qui plus tard devaient être humaines furent employées pour construire, à l’entrée de la caverne, un théâtre où la plus belle des déesses dansa nue aux sons du premier orchestre. Amatéras, tirée de sa retraite par l’éclat de la gaîté, en demanda la cause; on lui dit, en montrant un miroir, qu’on avait trouvé une déesse plus brillante qu’elle. Elle vit son image, et, piquée par la jalousie, elle sortit et consentit enfin à reprendre sa place dans le monde. Sans