Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/772

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flottait dans les mers arctiques, à côté de celui de la Grande-Bretagne, le drapeau de la France ne se montrait pas. Un officier de notre marine, René Belot, ayant obtenu en 1851 l’autorisation de servir sur un navire anglais, le Prince-Albert, commandé par le capitaine Kennedy, pénétra avec lui dans les détroits de l’Amérique arctique. Pendant trois cent trente jours, le navire est retenu dans les glaces; pendant soixante-dix-neuf jours, par un froid de 20 à 30 degrés centigrades au-dessous de zéro, Belot parcourt à pied avec Kennedy les côtes du nouveau Sommerset. Familiarisé avec les difficultés des voyages arctiques par terre et par mer, digne du titre d’arctic officer, que les Anglais décernaient à ceux de leurs marins qui avaient fait ces rudes campagnes, il revient à Paris, sollicite les ministres, les amiraux, les généraux, les directeurs, frappe à toutes les portes, demandant qu’on lui confie un petit navire pour chercher à son tour les traces de Franklin; il ne trouve partout qu’indifférence et mauvais vouloir. Désespéré, il repart sur le Phœnix, commandé par le capitaine Inglefield, et périt dans une excursion aventureuse entreprise à pied sur des glaces flottantes. Un monument élevé à sa mémoire à l’hôpital de la marine de Greenwich constate à la fois la reconnaissance de l’Angleterre et l’apathie du gouvernement français, insensible à l’honneur du pavillon et ne comprenant pas l’impérieuse nécessité de prendre part à ces cam- pagnes, pacifiques il est vrai, mais aussi dangereuses, aussi pénibles et aussi glorieuses que celle de la guerre inutile du Mexique.

Depuis qu’une portion de la Cochinchine et la Nouvelle-Calédonie sont au nombre des possessions françaises, beaucoup de navires de l’état ont fait le tour du monde pour le service de ces colonies. D’autres ont accompli des voyages de circumnavigation afin de protéger nos intérêts commerciaux et de montrer le drapeau français dans des contrées éloignées : ils ont, comme on dit en termes de marin, promené le pavillon ; mais jamais un de ces navires, tout en accomplissant sa mission, n’a été installé de façon à servir des intérêts scientifiques. Quelques médecins de la marine ont recueilli des plantes et des animaux dans les relâches que des nécessités diplomatiques avaient seules désignées d’avance; mais le manque de ressources autres que celles d’une solde insuffisante, et même le manque de place sur un navire de guerre, où chaque décimètre carré depuis la cale jusqu’au pont a sa destination spéciale, ont toujours paralysé le bon vouloir de ces modestes fonctionnaires. Ajoutons que les études incomplètes qu’ils font dans les écoles navales ne les initient en aucune façon à des recherches de ce genre, et, chose triste à dire, ce sont précisément les hommes qui ont le plus d’occasions de faire de l’histoire naturelle qui sont le plus mal préparés à devenir naturalistes. En raison même de ces conditions défavorables,