Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/775

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur un rayon sont rangés les livres les plus indispensables. Vers le milieu du pont, à bâbord, se trouve une pièce obscure à l’usage du photographe, et à tribord le laboratoire de physique et de chimie. Presque toute la partie de l’avant est occupée par les appareils de sondage, les dragues, une pompe hydraulique, un aquarium dont l’eau se renouvelle incessamment, et d’autres objets encombrans.

Le navire est sous les ordres du capitaine G. Nares, son second, M. Maclear, fils de l’ancien directeur de l’observatoire du Cap, sir Thomas Maclear, est chargé des observations magnétiques. Le professeur Wyville Thomson se consacre à l’étude des animaux inférieurs avec le docteur Willemoes-Suhm, élève du professeur Siebold, de Munich. M. Murray s’occupera surtout des animaux vertébrés, et M. Moseley des collections botaniques. Le chimiste est M. Buchanan, et M. Wild, de Zurich, le dessinateur. Un sous-officier du génie, habile photographe, a été adjoint à la commission. Pénétrés de l’importance d’une mission scientifique, les officiers de marine composant l’état-major du Challenger ont déployé le plus grand zèle afin de rendre les installations aussi commodes que possible, et manifesté le meilleur vouloir pour favoriser les recherches des savans embarqués avec eux. Ils ont compris qu’une campagne de ce genre fera plus d’honneur à l’Angleterre que les transports de troupes ou de matériel, de missionnaires ou de personnages diplomatiques, auxquels ils sont si souvent condamnés.

Les instructions du commandant lui prescrivent de traverser d’abord quatre fois l’Atlantique afin de déterminer par des sondages multipliés le relief et la température du fond de l’Océan. Il y a peu d’années, une pareille exploration eût été aussi longue que difficile. On ne saurait en effet se faire une idée, sans y avoir assisté, combien ces opérations étaient pénibles avec les appareils primitifs en usage jusqu’à ces derniers temps. Un plomb de sonde, pesant 30 ou 50 kilogrammes, était enduit de suif à sa partie inférieure et suspendu à une ligne ordinaire. On le plongeait dans la mer et on laissait filer la ligne. Quand celle-ci ne filait plus avec la même vitesse, on supposait que le plomb avait touché le fond : on s’en assurait en le soulevant et en le laissant tomber alternativement, afin de percevoir à la main la sensation de la résistance d’un corps solide. Par de petites profondeurs, l’erreur n’était pas possible, mais, dès qu’on dépassait 500 mètres, il fallait beaucoup d’habitude pour sentir la faible résistance d’une vase molle ou d’un sable fin à travers une pareille masse liquide. Parfois on restait dans le doute. Quel labeur ensuite pour retirer le lourd plomb de sonde suspendu au bout d’une corde alourdie par l’eau salée, dont elle était pénétrée! Dix hommes, se relayant souvent, y travaillaient