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en noirs corbeaux pour assaillir Ilia. La caractéristique de son cri, c’est le terrible sifflement qui ravage tout aux alentours. On ne peut méconnaître en lui le génie de l’orage et de la tempête. C’est ainsi que dans les Eddas le géant Hraesvelgr est assis aux confins du monde, et de ses ailes d’aigle met les vents en mouvement; c’est ainsi que le géant Tiassi, que Thor immole tous les printemps, niche sur des chênes sous la forme d’un aigle. Ailés sont les vents helléniques, fils d’Éole; ailées aussi les harpyes, les ravisseuses, auxquelles Hercule, l’analogue grec d’Ilia et de Thor, livre bataille. De même que Soloveï vit entouré de marécages, les harpyes hantent le lac Stymphale; le nom de l’une d’elles, Aella (la tempête), est significatif. M. Miller fait encore remarquer l’analogie qu’il y a en latin entre aquila, vultur, noms d’oiseaux de proie, et aquilo, vulturnus, noms de vents orageux. Soloveï, le rossignol gigantesque, et ses fils les corbeaux rentrent naturellement dans la grande famille indo-européenne des oiseaux-tempêtes. — Sous le dragon Fafnir, Sigurd a trouvé l’or rouge de la Gnita-Heide; de même dans le nid de Soloveï il y aurait assez d’or et d’argent pour payer sa rançon, allusion aux rayons lumineux que la sombre nuée dissimule en ses flancs. Nous avons vu comment Ilia, après sa victoire, déchire et disperse les membres de son ennemi; il faut bien que son sang féconde la terre régénérée. Enfin dans certaines bylines Ilia vainqueur est obligé de franchir une rivière; il y a là une batelière qui offre de le passer, s’il consent à lui rendre son père Soloveï. Ilia refuse, tue la batelière, et, de ses propres mains, construit un pont. Indra et Thor agissent de même après la victoire. Ce pont, le pont Bifrœst des Eddas, n’est autre chose que l’arc-en-ciel. Ilia traite aussi mal que Soloveï tantôt sa fille et tantôt son fils; mais la polénitsa a un faucon sur l’épaule, et Sokolnik est un fauconnier, ils sifflent et rugissent comme Soloveï; ils sont donc de la même famille. Sans doute, ils ont pour père Ilia, le héros de lumière; mais par leur mère la polénitsa des bylines, la femme-serpent des légendes scythiques, ils appartiennent bien plus au monde des ténèbres qu’au monde de la splendeur solaire.

Ainsi donc dans les chansons épiques de la Russie on peut distinguer une série de couches poétiques superposées comme les couches géologiques du sol terrestre et sur lesquelles on peut faire, suivant l’heureuse expression de M. Oreste Miller, de véritables études de paléontologie mythique. Les données naturalistes, communes à tous les peuples de notre famille, ont fini vers le Xie siècle par se spécialiser, par se naturaliser slaves. Les héros mythiques, indo-européens, sont devenus des héros exclusivement russes, des héros chrétiens, des héros orthodoxes. On cite le lieu de leur naissance : Mourom, Riazan ou Galitch. On marque sur la terre russe