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avaient anéanti tous les êtres organisés vivant sur le globe au moment où la catastrophe avait lieu. Il semblait que Dieu, mécontent de son œuvre, l’avait détruite un grand nombre de fois, comme le modeleur détruit et rejette au baquet la maquette en terre glaise d’une statuette manquée. Les formes singulières et même monstrueuses de beaucoup de ces animaux devenaient un argument à l’appui de cette opinion. On comprenait que les ichthyosaures, les plésiosaures, les ptérodactyles, êtres hybrides intermédiaires entre les poissons, les reptiles et les oiseaux, n’aient pas trouvé grâce devant le sens esthétique de celui qui créa l’homme à son image. Cependant des découvertes analogues à celles de Sars, dues à Agassiz, Pourtalès, Carpenter, Gwyn Jeffreys et Wyville Thomson, ébranlaient l’opinion reçue. Sur les côtes d’Europe comme sur les côtes d’Amérique, ils retiraient du fond des mers une boue blanchâtre formée des carapaces d’infusoires microscopiques, et contenant des animaux tels que des oursins et des térébratules analogues à ceux qu’on trouve dans la craie de la colline de Meudon, des falaises de la côte d’Angleterre ou des plaines de la Champagne. Il se dépose donc actuellement dans les mers profondes un terrain parallèle au terrain crétacé, et, lorsque ce terrain en voie de formation sera un jour émergé, les géologues, s’il en existe encore, auraient tort de conclure que les deux terrains crétacés sont synchroniques, c’est-à-dire qu’ils se sont déposés à la même époque. De même la période glaciaire, qui dans les latitudes moyennes a fait place aux climats tempérés qui règnent aujourd’hui, subsiste encore autour des deux pôles de la terre. Auparavant, à l’époque miocène, le pôle nord, libre de glaces, était entouré d’une végétation fort analogue à celle de la Californie. Les phases géologiques de notre globe ne sont donc pas des époques distinctes et séparées : elles se succèdent en se remplaçant partiellement, et les terrains qui leur correspondent coexistent quelquefois, émergés sur la terre et en voie de formation dans les profondeurs de l’Océan. Désormais, si l’humanité persiste, ces phases ne seront pas ensevelies dans l’oubli. Historien de sa propre race, l’homme sera aussi celui de la terre, sa mère et sa nourrice. Peut-être un jour les générations futures pourront-elles lire l’histoire véridique des changemens qui se sont accomplis depuis que l’homme a su étudier le monde qu’il habite.

Étant admis qu’il existe des formes fossiles encore vivantes au sein des mers, comme il en existe entre les tropiques, dont les grands pachydermes tels que les éléphans, les hippopotames, les rhinocéros, les reptiles tels que les crocodiles, les caïmans et les gavials, se rattachent plus étroitement par leurs caractères à des types perdus qu’aux types vivans actuellement qui les entourent, l’idée d’une création continue s’imposait naturellement à tous les