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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/784

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naturalistes penseurs. D’un autre côté, la doctrine des révolutions géologiques violentes, amenant la destruction de flores et de faunes tout entières, était ébranlée par les travaux de Constant Prévost, de sir Charles Lyell et de tous les géologues attentifs aux changemens physiques qui s’opèrent sous nos yeux à la surface du globe. Ces changemens sont, il est vrai, presque imperceptibles, très lents, mais continus : multipliés par le temps, ils produisent des effets que les cataclysmes les plus violens ne sauraient accomplir.

Dans la botanique, des découvertes parallèles, dues à MM. Unger, P.-W. Schimper, Oswald Heer, Gaston de Saporta, confirmaient celles de la zoologie. Le règne organique tout entier apparaît maintenant aux yeux du naturaliste comme un arbre immense dont les racines plongent dans les assises les plus profondes des formations géologiques, tandis que le tronc s’élève à travers les couches successives du globe terrestre en se ramifiant sans cesse. Le tronc et les branches de cet arbre gigantesque sont pétrifiés et ensevelis dans les terrains qui les ont vus naître et mourir; la cime seule est encore vivante et couvre de ses rameaux pleins de sève la surface terrestre tout entière. Ce ne sont pas des révolutions violentes, ce sont des changemens lents et successifs qui ont causé la mort de tous ces êtres et épargné ceux qui se sont adaptés aux nouvelles conditions d’existence qui leur étaient imposées. De même l’Européen transporté entre les tropiques succombe ou résiste aux influences nouvelles qui agissent sur lui. Cette continuité dans la création révélait en outre le mystère des affinités des êtres organisés entre eux. Issus d’une même souche, ils ont conservé des caractères communs, et pour les botanistes et les zoologistes progressifs les classifications naturelles de Jussieu, de Lamarck, de Cuvier, et l’apparition successive d’êtres de plus en plus parfaits dans la série des temps géologiques ne sont que l’énoncé sous deux formes différentes d’un même principe : l’évolution graduelle des êtres organisés dont les générations se sont succédé sans interruption dans la profondeur des mers et à la surface de la terre.

Complétons l’histoire des premiers travaux du Challenger par le récit de quelques sondes à de grandes profondeurs avec la drague destinée à ramener à la surface les animaux qui s’y trouvent. Le 18 février 1873, au sud-ouest des îles Canaries, entre cet archipel et les îles du Cap-Vert, la drague, descendue à 4,060 mètres, revint contenant du sable volcanique analogue à celui de Ténériffe et une branche de corail portant deux éponges couleur de lait, unies à leur base, hérissées de spicules, et ressemblant, à s’y méprendre, à un champignon amadouvier fixé sur une branche de chêne : de là le nom de Polyopogon amadou que M. Wyville Thomson donne à cette nouvelle espèce. Deux annélides accompagnaient cette éponge.