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— Eh bien ! on lui tendra des pièges, et moi, je le lui ai promis, j’irai le voir pendre.

— Non, lui dis-je, il est impossible que vous épousiez Larion!

— Venez vous en assurer plutôt! Allons ensemble...

Je l’accompagnai donc d’abord chez le boucher, qu’avec beaucoup de sang-froid elle aida à tuer le petit veau, puis chez Larion. Il était aux champs, mais accourut aussitôt qu’il nous aperçut avec force salutations. A peine eut-il demandé, selon l’usage, à Théodosie ce qu’elle avait pour agréable : — J’ai pour agréable de me marier, répondit-elle, et je trouve que vous êtes ce qu’il me faut, Larion. — En même temps, elle fixait sur lui un regard qui le déconcerta.

— Moi, votre mari? balbutia-t-il. Vous vous moquez! Comment croire que notre belle Théodosie, après avoir goûté de la liberté pendant dix ans et plus...

— Il faut le croire, dit-elle, je veux me remarier, et précisément avec vous, Larion, pourvu que vous n’y voyiez pas d’empêchement.

— Est-ce possible? murmura le jeune fermier tout confus... Vous n’êtes pas seulement riche, Théodosie, vous êtes une belle femme, une femme d’esprit, faite pour gouverner un ménage. Je serais trop honoré d’être votre mari ou seulement votre serviteur, mais...

— Tu n’avais pas le courage de le dire à Théodosie, interrompit la veuve, je l’ai pensé; voici pourquoi je viens à toi, et tu ne m’échapperas pas, sois tranquille ! Quand tu auras cette corde-ci autour du cou, je te conduirai à la maison comme un bœuf.

— En effet, soupira Larion, comme un bœuf que l’on mène à l’abattoir. Avez-vous donc tout à fait oublié Cyrille?

— Ne me parle pas de ce garnement.

— Mais ce garnement a tué votre mari, il a battu l’un de vos amoureux, et moi je sens déjà la corde autour de mon cou... Je n’ose pas...

— Es-tu donc un homme de l’espèce d’Akenty, s’écria Théodosie avec mépris, une tête creuse comme un potiron vidé?

Larion se grattait l’oreille.

— Allons! ne soupire pas, mon brave, reprit la meunière, sans quoi tu vas fondre à la fin comme un homme de neige au soleil. Veux-tu ma main et ma parole?..

— Ah ! Théodosie ! s’écria Larion, partagé entre la crainte et le plaisir, j’ai peine encore à croire que vous m’ayez choisi; mais, si vous devez réellement devenir mienne, il faut que tout s’arrange aussi vite et aussi secrètement que possible. Une fois votre mari, je me charge de l’autre, le diable l’emporte!

— Tu parles maintenant comme il convient, s’écria gaîment Théodosie. Je suis à toi! — Elle se leva et lui tendit la main, puis ils