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— Rien n’arrivera que ce qui doit arriver. A la volonté de Dieu ! répliqua-t-il en soupirant à plusieurs reprises.

Nous marchâmes ensemble jusqu’au moulin, où la foule des invités rassemblés devant la maison nous regardèrent avec curiosité. Cyrille, s’approchant des jeunes filles, les plaisanta, comme s’il se fût imposé le rôle de bouffon dans cette noce. La musique éclata : les violens grinçaient, la trompette jetait des sons discordans, les cymbales pleurnichaient, la basse grognait comme un ours qui s’ennuie. Derrière les musiciens venaient le marié, les témoins, les chanteuses, tout le cortège fleuri et joyeux. Larion cependant baissa les yeux en apercevant Cyrille.

Devant la maison de la fiancée, on sollicita en chantant, selon l’antique usage, la permission d’entrer; mais les chants ne furent pas de longue durée. Théodosie sortit magnifiquement parée, ses cheveux blonds couronnés de fleurs. — Assez, dit-elle, inutile d’implorer si longtemps; je vous laisse entrer volontiers.

Cyrille se mordit les lèvres en la regardant à la dérobée. — Si belle, et perdue pour lui une seconde fois, perdue à tout jamais! — Néanmoins il entra tranquillement avec les autres. Théodosie prit la main de Larion et se prosterna trois fois devant chacun des invités en demandant sa bénédiction. Lorsqu’elle fut devant Cyrille : — Quel bonheur que vous soyez venu ! dit-elle en souriant. La fête sera donc gaie, si Dieu le veut.

— Oui, très gaie, si Dieu le veut, répondit-il en souriant aussi. Elle se prosterna devant lui avec Larion; il mit les mains sur elle et dit : — Puisse tout ce que je vous souhaite s’accomplir!

— Dieu le veuille! s’écria la foule.

Amen! ajouta Théodosie d’une voix haute et ferme. L’amen resta dans la gorge de Larion, qui était fort rouge.

Tandis que le cortège, musique en tête, suivait le chemin de l’église, je dis à Théodosie : — Il est furieux, ne l’excitez pas davantage.

Elle haussa les sourcils sans répondre.

Lorsque le prêtre unit leurs mains pour toujours, Cyrille approuva de la tête à plusieurs reprises. Théodosie, devenue la femme de Larion, le regarda d’un air satisfait en passant devant lui. De retour au moulin, elle laissa entrer les autres et le prit à part. — Eh bien, comment es-tu, Cyrille?

— Bien, très bien.

— Demeure ainsi, ajouta-t-elle tout bas et précipitamment. Rien n’est changé entre nous, tu viendras tant que tu voudras, demain, si bon te semble, ou même... veux-tu aujourd’hui? — Là-dessus elle se glissa dans la maison prompte comme une flèche.

Nous entrâmes dans la première chambre. On avait rapproché les