Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/819

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tables, qui, couvertes d’une fine nappe, supportaient de grands plats de jambons, de saucisses, de rôtis et autres victuailles, des pâtisseries en forme de bastions, des bouteilles de shirowitz et de vin de Hongrie; la seconde chambre était complètement vide, et dans le vestibule se tenaient les musiciens. Tandis que les notables, les anciens et les matrones se mettaient à table, les jeunes gens commencèrent à danser. Au milieu de la table étaient assis les nouveaux mariés; chacun des convives s’approcha dans le cérémonial accoutumé pour leur présenter un cadeau. Cyrille quitta le dernier le banc auprès du poêle où il était tout seul, et au milieu des éclats de rire de la société offrit avec un compliment gracieux à Théodosie une petite pantoufle brodée. Elle lui lança un regard rapide qui n’exprimait nullement la mauvaise humeur, mais Larion se renversa sur sa chaise en tirant sa moustache.

Leurs cadeaux présentés, les convives se levèrent successivement chacun le verre en main, et en portant un toast qui fut répété bruyamment à la ronde, puis lança la dernière goutte au plafond. Ainsi on atteignit la nuit. Larion était complètement ivre lorsque, tenant sa femme embrassée, il jeta son verre plein par la fenêtre en criant : — Il est temps, jeunes filles, il est temps! — La musique s’interrompit aussitôt, et les demoiselles d’honneur chassèrent les danseurs de la chambre voisine pour y dresser le lit nuptial, tandis que les chanteuses entonnaient le vieil épithalame solennel et mélancolique.

Cyrille avait avalé deux verres d’eau-de-vie coup sur coup; alors il sauta sur la table au milieu des plats, des bouteilles et des verres, qui se mirent à danser comme sur un navire en pleine mer. Il y eut un cri général, puis des éclats de rire, des injures, mais sa voix vibrante domina le tapage. — Je veux vous chanter, moi, le chant des mariés, s’écria-t-il, silence! — Il frappa encore une fois du pied sur la table, de telle sorte que l’eau-de-vie dorée rejaillit sur les époux et sur les invités. On se tut l’espace d’un instant. Théodosie s’était levée menaçante; Cyrille, les bras croisés, les yeux sur elle, chanta d’un ton de raillerie amère :

Il était une fière paonne, une paonne,
Qui avait épousé une huppe.
Witt! witt! witt! witt! witt! witt!

— "Witt ! witt ! witt ! witt ! witt ! witt ! répéta le chœur en riant.

— Une huppe? bégaya Larion sans quitter sa chaise. — Ses yeux étaient fixes et vitreux comme ceux d’un mort.

— Oui, une huppe, repartit Cyrille, et rien de mieux.

Mais malgré son haut toupet, son haut toupet,
La paonne s’en repentit bientôt.
Witt! witt! witt! witt! witt! witt!