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nous allons informer le futur voyageur de l’itinéraire qu’il devra suivre, s’il veut se procurer un plaisir qu’il ne peut trouver d’ordinaire que dans les toiles du Poussin, ou dans le pays par excellence du paysage historique, c’est-à-dire l’Italie. Pour cela, il n’aura qu’à partir d’un des points quelconques du Rhône, le pont Morand par exemple, et à se faire conduire au château de La Pape, puis, coupant droit à travers champs, qu’il se dirige sur l’île Barbe et rentre à Lyon en suivant la rive de la Saône; s’il choisit un beau jour d’automne pour cette excursion et qu’il ait soin de faire coïncider sa rentrée avec le coucher du soleil, je lui promets un spectacle dont il gardera longtemps le souvenir.

La route est peu belle de Lyon au château de La Pape, car le long et ennuyeux faubourg Saint-Clair forme presque la moitié de la distance, et l’autre moitié se fait par un chemin montueux à l’excès, encaissé entre des escarpemens poussiéreux et des terres d’un aspect aride. Heureusement le voyage est aussi court qu’il est monotone; un peu plus d’une demi-heure, et nous débouchons par une assez belle avenue sur la terrasse du château de La Pape. Ce château, qui conserve le nom d’un de ses plus anciens possesseurs, le jurisconsulte grenoblois Guy Pape, un des bons serviteurs de Louis XI, n’est plus aujourd’hui qu’une gentille habitation moderne[1]; mais le site sur lequel il s’élève est historique et rappelle l’un des plus tragiques souvenirs de la France nouvelle. C’est ici que sous la terreur Dubois Crancé avait établi son camp, se plaçant ainsi à cheval entre les deux fleuves, maître du Rhône, que cette situation domine, fermant par là le chemin de la Franche-Comté et de la Savoie, et assez près de la Saône pour observer tous les mouvemens qui pourraient venir des régions de Forez et d’Auvergne; c’est de là que pendant deux longs mois il tint les Lyonnais assiégés, les bombardant et les incendiant sans vaincre leur obstination et leur courage. Quiconque est maître de cette situation, ai-je dit, est maître du cours du Rhône; en effet, le fleuve coule immédiatement au-dessous, et l’on y descend en quelques minutes par un parc incliné planté sur le penchant de l’éminence que couronne le château. L’aspect qu’il offre ici est original et curieux. Ce fleuve si nerveux et si vif, rencontrant un obstacle dans la nature du sol, s’arrête comme affaissé et débilité, se divise ou plutôt s’embrouille dans les terres comme s’il hésitait sur son chemin, et, impuissant à creuser régulièrement son lit, forme des commencemens d’îles et des essais de marécages, présentant ainsi sur une très petite échelle le

  1. Le propriétaire actuel du château de La Pape est M. Germain, directeur du Crédit foncier de Lyon.