Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/847

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la réalité, ou d’une idéalisation à outrance; leur ambition à eux, fidèles, honnêtes et sensés artistes, c’est de satisfaire à toutes les règles de leur art jusqu’à la plus petite, et non pas de lutter ou de ruser avec elles. Il m’est arrivé autrefois d’écrire que la perfection de l’art du comédien était de se tenir à si juste distance de la réalité que le spectateur pût être ému de plaisir ou de douleur sans perdre pour cela le souvenir que ce qu’il voit n’est qu’un jeu; on peut dire quelque chose d’analogue pour tous les arts. Si cela est vrai, nuls sculpteurs mieux que les Lyonnais n’ont su trouver et garder cette juste et si délicate distance : il me suffit de nommer Coysevox et Coustou pour faire comprendre et justifier ce que j’avance. Là où ils triomphent peut-être davantage encore, c’est dans le sentiment des proportions, qu’ils ont eu à un degré si rare qu’il en est exquis. Avec quelle adresse ils ont su mainte fois ramener tel sujet aux dimensions dont la sculpture doit se contenter, ou créer l’illusion de la grandeur sans sortir de ces dimensions! J’entre par exemple dans l’église de Saint-Nizier, et j’y rencontre une charmante Vierge de Coysevox. Une statue de la Vierge comporte nécessairement l’idée de majesté, et l’idée de majesté ne se rencontre guère dans des proportions réduites; or la statue de Coysevox est de faibles dimensions, et cependant elle se dresse aussi gracieusement fière que si elle avait cinq pieds de haut. Pour obtenir cet effet de grandeur, il lui a suffi de faire tenir l’enfant à la Vierge en croisant les bras aussi près que possible du sommet de la poitrine, en sorte que l’enfant, soutenu seulement par les jambes, se dresse droit hors des bras de sa mère, dont il domine la tête, et que la taille de la Vierge semble s’accroître ainsi de toute celle de son fils. Prenons maintenant un exemple contraire : j’entre à l’hôtel de ville, et sous le péristyle de ce bel édifice, si noblement marqué du sceau royal du XVIIe siècle, je rencontre deux gigantesques allégories du Rhône et de la Saône, œuvres de Coustou. La Saône est la plus belle des deux; c’est une géante de proportions colossales, et cependant sa beauté et sa grâce n’ont rien d’énorme; cette géante parle à nos sens aussi familièrement et sans plus les étonner que si elle était de la taille des femmes de la commune humanité. Je continue mes promenades, et j’arrive place Bellecour, où je me trouve en face d’une œuvre de date plus récente que les précédentes, la statue équestre de Louis XIV de Lemot, l’auteur de l’Henri IV du Pont-Neuf. L’œuvre est superbe, et j’ose dire que, de toutes les statues équestres que j’ai pu voir en France, elle est la seule qui me semble répondre d’une manière absolue à toutes les conditions de la sculpture monumentale. Jamais on n’a aussi fidèlement rendu la figure que notre imagination se forme de Louis XIV d’après les documens