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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/846

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Eh bien ! Chinard, qui florissait sous le consulat et l’empire, a laissé des œuvres qu’on ne regarde pas sans plaisir. Le musée de Lyon possède quelques-unes de ces œuvres, ce sont des allégories mythologiques à la manière du XVIIIe siècle expirant, ce même genre que son contemporain Prud’hon a transporté dans la peinture; la mode en est surannée sans doute, mais le style en est correct, et les proportions en sont en rapport exact avec le sujet. Ce même Chinard a laissé quantité de bustes qui ont aujourd’hui une valeur historique, entre autres celui de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et surtout celui de l’impératrice Joséphine que l’on a pu voir en 1867 à l’exposition de la Malmaison, et dont on peut garantir la ressemblance, car il présente par avance le même type que Prud’hon en a laissé quelques années plus tard dans un des plus beaux dessins qui soient sortis de son crayon : or ces bustes de Chinard sont ce que des bustes doivent être, fidèles sans exagération de réalité et corrects sans mensonge d’idéalisation. J’appuie exprès sur cet exemple de Chinard — précisément parce qu’étant petit il montre d’autant mieux ce que je veux avancer. Il est sculpteur médiocre peut-être, mais il est sculpteur, chose qu’on ne pourrait pas toujours dire d’hommes éminens. Combien d’artistes du plus grand talent en effet dont les œuvres ne répondent pas aux conditions de l’art qu’ils ont choisi ! Cela peut sembler un paradoxe apparent que de dire qu’il y a tel peintre ou tel sculpteur qui est plus grand artiste qu’il n’est grand peintre ou grand sculpteur ; cependant il en est ainsi en toute vérité, et cette même ville de Lyon va nous en fournir la preuve. Lyon a produit dans la peinture, notamment à notre époque, des hommes du mérite le plus élevé. Qui ne connaît les œuvres d’Hippolyte Flandrin et de Victor Orsel? et qui oserait dire après les avoir admirées que les auteurs en sont aussi grands peintres qu’ils sont grands artistes? Or ce qu’on ne pourrait oser dire des peintres, on peut le dire en toute assurance des sculpteurs lyonnais; du plus grand au plus petit, ils sont sculpteurs; il faut donc bien qu’il y ait dans le génie lyonnais une aptitude plus particulière à la sculpture qu’à toute autre forme de l’art.

La justesse, la proportion, l’harmonie, le rapport exact entre l’œuvre créée et sa destination, l’art de ramener le sujet, quelque grandiose ou excentrique qu’il soit, aux lois et, si j’ose ainsi parler, à la discipline de l’art, voilà les qualités qui à toutes les époques ont distingué les sculpteurs lyonnais, et qui en font, selon moi, les sculpteurs classiques français par excellence. Peu de génie d’initiative, aucune de ces audaces aventureuses qui ne s’obtiennent que par une entorse faite aux lois normales de la sculpture, aucun esprit de système; ce n’est pas eux qui essaieront d’une lutte forcenée