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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/862

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nous retrouvons tout cela dans cette mosaïque, qui nous dit ainsi que rien n’est nouveau, et qui nous dit mieux encore par ses vives couleurs et sa conservation si parfaite que rien n’est ancien. L’Italie n’a rien retrouvé ni rien gardé de plus précieux et plus beau.

C’est encore de cette transformation des âmes pendant ces siècles de transition de l’époque gallo-romaine que nous ont parlé avec une sorte de suavité mélancolique les sarcophages et surtout les innombrables cippes funéraires qui composent en grande partie le musée lapidaire de Lyon. On sait quelle est la forme ordinaire de ces monumens : un petit cube élégamment taillé, plus haut que large, quelquefois creusé d’une niche cintrée présentant la figure du mort, et presque invariablement marqué à son sommet de deux signes, un oiseau, symbole du quelque chose d’ailé qui s’est enfui hors du mort, et une ascia, autrement dit la houe qui a servi à creuser les fondemens sur lesquels le cippe a reposé. Les inscriptions ne varient guère davantage : Dis manibus et œternœ memoriœ, etc.; mais celles de Lyon présentent pour la très grande majorité une différence sensible d’avec toutes celles qu’il a été donné à notre curiosité de lire ailleurs, et cette différence porte sur le choix particulier des épithètes qui accompagnent la mention du mort. Ces épithètes emportent toutes avec elles une nuance religieuse ou un sentiment de douceur morale; à la place des époux incomparables et des très chères épouses des inscriptions habituelles, ce ne sont que pieux époux, épouses saintes, filles très pieuses, etc. Tous ces mots, que nous réservons aujourd’hui pour nommer les vertus les plus délicates et les plus rares des âmes religieuses, que nous croirions profaner en les prodiguant, se trouvent ici à profusion. Chaque époque se crée son vocabulaire pour exprimer la nuance de vertu qu’elle préfère particulièrement ; or la nuance de vertu préférée par les âmes entre le IIe et le IVe siècle, ce fut visiblement une vertu faite de paix et de douceur mystique; aussi pour louer ceux qu’on aimait usait-on naturellement des épithètes qui nommaient cette forme morale estimée précieuse par excellence, et l’on disait saint et pieux, comme on disait honnête au XVIIe siècle, ou bienfaisant au XVIIIe. On le sent en lisant ces inscriptions, le monde avait alors une tendance générale à la tendresse. L’âme en quête d’un nouvel idéal cherche une vertu qu’elle puisse non plus seulement respecter et craindre, mais encore, mais surtout aimer, et elle emploie pour la peindre, la louer ou l’appeler, le langage caressant de l’amant à sa maîtresse et de la mère à son nouveau-né. Une qualité particulière de style naît alors, l’onction : l’église garde dans les formes traditionnelles de son langage la marque ineffaçable de ce courant de tendresse où il prit son origine. « Avec ce