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séparés en deux courans distincts, dont l’un part de saint Pierre, l’autre de saint Paul. Voici ce qui justifie la présence, sans cela inexplicable, de ce dernier à la scène de l’ascension. La ligne qui part de saint Paul est fermée par saint Jean; la loi de grâce à l’une des extrémités, la loi d’amour à l’autre, ordonnance fort logique qui permet de supposer que les apôtres intermédiaires ont été choisis parmi ceux qui ont eu une tendance plus ou moins marquée à interpréter le christianisme en esprit. J’ai eu le regret de ne pouvoir déterminer d’une manière certaine quel est l’apôtre qui ferme la ligne partant de saint Pierre, car la pensée que nous essayons de faire apercevoir aurait apparu avec une évidence irréfutable; mais quoi qu’il en soit, les personnages de cette seconde ligne ne peuvent avoir été pris que parmi les apôtres qui ont suivi plus nettement le christianisme d’autorité. Ce qui est tout à fait certain, c’est que le Pérugin a réussi, par les simples expressions des personnages, à montrer les différences de leurs rôles historiques, mieux encore les différences essentielles qui vont résulter dans la doctrine chrétienne des caractères de leurs fondateurs. Les trois grands apôtres en particulier ont été compris et saisis avec une vigueur de pénétration et une finesse d’intelligence qui n’ont jamais été dépassées. Parmi les personnages ici réunis il n’y en a qu’un seul, la Vierge exceptée, qui suive réellement le départ de Jésus, saint Pierre. Pour tous les autres, leurs regards sont partagés entre le maître et l’assistance, leurs âmes partagées entre la douleur de la séparation et l’anxiété de la destinée que leur fait cette séparation. Tous s’interrogent de l’œil ou de la physionomie, et leur silence même semble dire : Qu’allons-nous faire sans lui? Mais il en est un au moins dont aucune préoccupation ne divise l’être, saint Pierre. Ah! celui-là ne fait point un retour sur lui-même, quelque humble et saint que puisse être ce retour ! Entièrement absorbé dans la contemplation de celui qui vient de le quitter après lui avoir remis son autorité, il n’a qu’une pensée, prolonger l’adieu muet aussi longtemps que ses yeux dirigés en haut pourront voir. Ce qu’il y a de dévoûment et de fidélité dans ce regard ne se peut dire; l’homme qui regarde ainsi est dans une entière dépendance, ce n’est pas en lui qu’est le principe de sa vie, c’est dans le maître qui s’envole; c’est en celui-là seulement qu’il peut espérer d’avoir le mouvement et l’être. Ce n’est pas un disciple, c’est un serviteur ; quand il agira et parlera, c’est son maître même qui parlera et agira : il n’ordonnera pas, il transmettra des ordres; il n’enseignera pas, il transmettra authentiquement des paroles. Le maître l’a dit, ce sera éternellement le principe de ses actions et la conclusion de ses discours; aussi sera-t-il d’autant plus l’autorité qu’il ne la puise pas en lui-même, et