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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/867

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imposera-t-il l’obéissance avec d’autant plus d’énergie qu’il la subit lui-même. Plus sublime encore que celle de Pierre est la figure de saint Jean, beau jeune homme dont toute la personne respire une véhémence passionnée extraordinaire. Une lutte douloureuse entre un regret désespéré et une ambition déçue se lit dans le jeu de sa physionomie. Un de ses yeux est dirigé sur Jésus, l’autre regarde Pierre, un frémissement convulsif agite le coin des lèvres, et le corps se porte en avant presque avec menace. Physionomie, geste, mouvement, tout dit à la fois à Pierre : « Est-ce bien à toi que revenait cette autorité qui t’a été confiée? est-ce que tu as su, est-ce que tu aurais su l’aimer comme moi? est-ce que son véritable héritier n’était pas celui qui l’aima le plus et qui en fut le plus aimé? Mais, il l’a dit lui-même, ce n’est que pour un temps que cette autorité t’a été prêtée, et mon tour viendra bientôt. » En contemplant cette admirable figure, la scène suprême de la vie de Jésus ressuscité revient au souvenir. Par trois fois, il appela Pierre, et lui dit : « Pierre, m’aimes-tu? » Et par trois fois Pierre répondit : « Seigneur, vous savez que je vous aime. — Pais mes brebis, dit alors Jésus, mais un jour viendra où un autre ceindra le glaive et te mènera où tu ne voulais pas aller. » Incertains du sens de ces paroles prophétiques, les disciples crurent qu’elles s’adressaient à Jean, et qu’elles annonçaient que cet apôtre échapperait à la mort; mais saint Paul, qui a pris place au côté de la Vierge, semble mieux connaître celui que ces paroles désignaient. Ses yeux s’attachent tout entiers sur Jean, dont ils ont surpris l’ambitieuse et ardente émotion, ils surveillent ses mouvemens, ils pénètrent jusqu’à son âme, et disent avec une autorité sévère qui veut faire tomber une dernière illusion : « Ce survenant inconnu dont parlait le maître, il est devant toi et te regarde; c’est de moi qu’il s’agissait et non de toi, jeune homme aux ardeurs effrénées dont l’infini seul est le domaine, éternel héros d’un combat où tu ne vaincras pas. » Tel est le conflit sublime que Pérugin a su rendre visible aux yeux de l’esprit; nulle scène d’aucun drame humain ne saurait égaler le pathétique de celle-là pour ceux qui ont l’intelligence et l’amour des choses religieuses.

Une des salles du musée de peinture a été consacrée tout spécialement aux peintres lyonnais ; malheureusement les véritables maîtres de l’école lyonnaise n’y sont que faiblement représentés, et nous avons à Paris de tout autres élémens pour juger du talent de Flandrin et de Victor Orsel que ceux que Lyon peut nous offrir. Toutes les toiles qui se trouvent là, à l’exception de quelques-unes signées du vieux Jacques Stella, et peu intéressantes elles-mêmes, sont les œuvres d’artistes inconnus ou restés obscurs, portant la marque, celles-ci de l’empire, celles-là de la restauration, ces autres