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qu’on peut le concevoir. Le gouvernement de la cité était aux mains de trente-six familles, et le reste de la population n’avait aucun droit d’intervention dans la gestion des affaires publiques. Cependant cette oligarchie bourgeoise sut gouverner avec tant de sagesse et de prudence qu’elle conserva le pouvoir jusqu’à la chute de la république, sans soulever de réclamations sérieuses de la part de ceux qui étaient privés de tout droit politique.

La plupart des villes présentaient quelques particularités; ainsi à Dordrecht, à côté du collège des bourgmestres et échevins, on rencontrait le collège des huit, de goede leeden van de Achten, qui représentait l’ancienne commune divisée en quatre quartiers. Ces huit membres étaient autrefois nommés par les doyens des métiers ou gilden, plus tard ils le furent par le conseil des anciens. Nimègue présentait un régime plus démocratique. Les gilden ou métiers intervenaient directement dans l’administration. Les 24 membres du grand-conseil, het magistraet, étaient nommés par les maîtres des gilden. Les maîtres des gilden choisissaient dans celle de Saint-Nicolas un collège de huit maîtres, qui devait être consulté par le grand-conseil dans toutes les affaires importantes, et même dans les circonstances extraordinaires, — pour la nomination d’un stathouder, pour donner des instructions aux députés, — il fallait demander l’avis de tous les bourgeois. Le gouvernement direct primitif s’était conservé ici, grâce à l’esprit politique des métiers, qui avait été moins actif ou moins puissant ailleurs. Les villes en France, même après que Louis XIV leur eut enlevé l’indépendance qui leur restait, avaient une forme de gouvernement moins oligarchique que la plupart des villes des Pays-Bas, mais l’esprit était ici tout différent. La bourgeoisie, affranchie de l’autorité royale, était en réalité devenue-souveraine; c’est elle qui dirigeait tout dans l’état. Les familles gouvernantes étaient très peu nombreuses, mais elles ne pouvaient opprimer les autres, qui leur étaient égales et qui vivaient à côté d’elles sur le même pied; ainsi la liberté générale était maintenue et les droits de tous respectés. La main d’un maître ne se faisait pas sentir. En France, la forme des anciennes libertés s’était par endroits mieux maintenue; mais les représentans du pouvoir central intervenaient dans toutes les affaires locales et en réalité décidaient de tout, jusque dans le dernier village. Ce n’était pas la soif d’un pouvoir illimité et se faisant partout sentir, c’était le besoin d’argent qui avait poussé la royauté à étendre ainsi son intervention. En Hollande, les villes gouvernaient l’état et le constituaient; en France, l’état gouvernait les villes, parce que l’état c’était le roi.

S’il fallait juger de l’excellence d’une forme de gouvernement uniquement par la prospérité qu’elle produit ou permet, il faudrait