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REVUE. — CHRONIQUE.

sage sans faiblesse comme sans menace, à réclamer jusqu’au bout l’exécution des engagemens du 20 novembre. La confiance même qu’inspire le caractère de M. le maréchal de Mac-Mahon, en excluant jusqu’au plus lointain soupçon d’usurpation de sa part, lui donnait un droit de plus de parler avec fermeté, de faire sentir l’ascendant de sa position. Il n’aurait pas réussi » dira-t-on encore, il aurait rencontré une invincible résistance de la part des aveugles qui étaient décidés d’avance à refuser toute organisation sérieuse, et il ne serait arrivé qu’à provoquer une nouvelle crise parlementaire. D’abord rien n’est moins sûr, et parmi ceux qui depuis se sont vantés, non sans prendre un ton goguenard, d’ah voir fait reculer M. le président de la république, parmi ceux-là même beaucoup auraient peut-être hésité au moment de se révolter ouvertement contre une nécessité loyalement exposée ; mais le gouvernement eût-il échoué, qu’avait-il à craindre ? Il eût toujours gardé devant l’opinion l’avantage de son initiative, d’une politique prévoyante et résolue. Il n’eût fait que confirmer la confiance publique inspirée par le message. Il eût été démontré pour la France entière qu’à côté d’une assemblée profondément divisée, au milieu de tous ces partis confus et impuissans, il y avait un pouvoir ayant une pensée, une volonté, portant fièrement sa responsabilité, tout en se préoccupant d’assurer au pays et à la situation qui a été créée la garantie d’une organisation et d’institutions sérieuses. Le gouvernement, bien loin d’en être diminué, eût gagné en autorité morale. On pouvait entrer en vacances sans inquiétude, , on savait d’avance qu’il n’y aurait ni coups d’état, ni aventures, ni agitations prétendant disposer par surprise de l’avenir de la France.

Il n'y aura ni agitations ni aventures sans doute, l’ordre légal est sous la protection d’un gardien fidèle. Que veut-on seulement que pense le pays lorsqu’au moment même où un membre du gouvernement déclare que toute tentative contre l’ordre de choses établi serait réprimée, un député peut se lever pour dire à peu près qu’il n’en sera ni plus ni moins, qu’on garde le droit de faire ce qu’on pourra pour rétablir la monarchie ? Quelle peut être l’impression publique lorsqu’à quinze jours d’intervalle un message déclare que l’organisation constitutionnelle est une nécessité pressante pour le repos des esprits, pour la sécurité des affaires, et qu’un ministère se résigne sans protestation à l’ajournement de ces lois constitutionnelles, dont peu auparavant on ne pouvait se passer ? Il y a nécessairement une certaine déception, un certain désarroi de l’opinion, réduite à se demander ce qu’elle peut croire, de quel côté elle doit se tourner. Le gouvernement lui-même souffre de ces fluctuations, où éclate si tristement une tyrannie des partis qu’il a l’air de subir en s’effaçant devant elle. La confiance dans les intentions et la bonne volonté des hommes n’est point altérée, si l’on veut ; c’est la force morale et politique d’une situation qui risque d’être atteinte.