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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/942

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REVUE DES DEUX MONDES.


C’est au gouvernement d’y songer. Il a toujours indubitablement la durée et le caractère indélébile d’un pouvoir septennal ; il a besoin de se dégager des contradictions et des obscurités de cette fin de session pour raffermir l’opinion, l’administration elle-même, toutes ces forces publiques dont il dispose, qui n’obéissent utilement, efficacement, qu’à la condition d’être dirigées. Si l’on n’y prend garde, une dangereuse hésitation se communique de proche en proche, et puis qu’un de ces incidens qui se produisent dans tous les temps survienne tout à coup, qu’il y ait une évasion de prisonnier, on cherche là aussitôt le signe d’un relâchement d’action publique. Eh bien ! oui, celui qui fut le maréchal Bazaine, le condamné de Trianon s’est évadé de l’île Sainte-Marguerite comme M. Rochefort s’évadait, il y a quelques mois, de Nouméa. Il n’y a point certes à exagérer une aventure assez médiocre. C’est après tout le métier des prisonniers de s’échapper, et les partis donnent quelquefois une plaisante comédie. Ceux qui s’égayaient de l’évasion de M. Rochefort en sont presque à s’indigner de l’évasion de M. Bazaine ; en revanche ceux qui prenaient le deuil pour la faite du prisonnier de la Nouvelle-Calédonie n’ont qu’une goguenarde satisfaction pour la fuite du prisonnier de l’île Sainte-Marguerite. Tout cela peut être assez plaisant et ne laisse pas d’être vulgaire. Que Bazaine soit dans sa prison ou dans l’exil qu’il s’est fait, il ne reste pas moins l’homme déshonoré par une sentence d’une impartiale sévérité, condamné non pour ses opinions, pour sa fidélité à l’empire, mais pour avoir, par insouciance, par incapacité peut-être, par une diplomatie équivoque, conduit la plus belle armée à la plus douloureuse, à la plus poignante des catastrophes. Ce qu’il peut demander de mieux à ses contemporains, c’est l’oubli. Son évasion n’a aucun sens politique pour la France, elle n’a d’autre importance que de venir après une autre évasion bien différente, d’être un de ces incidens que les partis exploitent un instant, qui éclatent parfois dans une de ces situations où tout semble se ressentir d’une certaine confusion, d’une vague indécision des choses, d’un trouble indéfinissable dans l’action publique comme dans les idées.

Ah ! c’est là le point douloureux et délicat, c’est une des maladies les plus graves. Nous vivons dans un temps où, à force de divisions, de raffinemens et de subtilités, on finit par ne plus s’entendre ou se reconnaître, et ce qu’il y aurait de mieux assurément serait de ramener les esprits à la droiture, à la netteté des notions essentielles, à un sentiment précis et supérieur des choses. Qu’on mette de côté tout ce qui divise les forces d’une nation, tout ce qui égare l’intelligence et le cœur, pour fixer l’attention des hommes, particulièrement de la jeunesse, sur des idées simples et justes : c’est la propagande la plus pressante et la plus salutaire à poursuivre, c’est le meilleur moyen de réagir contre ces vaines agitations de partis, où s’épuise cette vitalité française, qui n’aurait qu’à se régulariser pour retrouver sa puissance. Cette propagande de la raison