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des temps où un homme suffit ? C’était le jour du latin : si forte virum quem… C’est possible, seulement où est l’homme ? Il n’est pas précisément apparu jusqu’ici, et quand on n’a pas l’homme, ce n’est rien de trop d’avoir des institutions, de s’y attacher. Disons mieux, le véritable homme d’état n’atteint toute sa grandeur morale que lorsqu’il est entouré d’institutions qui lui servent tout à la fois d’appui et de frein. Qu’on mette en présence ce langage un peu compliqué, un peu désabusé, et la virile parole de M. le duc d’Aumale : « vous serez citoyens d’un pays libre ! » Franchement, c’est M. le duc d’Aumale que nous préférons entendre, et ce n’est peut-être pas préparer une régénération bien certaine que de conseiller la défiance des institutions politiques à un pays qui n’en a pas, qui s’est trop souvent laissé abuser par le si forte virum, qui a connu les enthousiasmes décevans, les sécurités trompeuses et les désastres qui accompagnent le gouvernement personnel.

Oui assurément, pour la France aujourd’hui la politique la plus sûre et la plus efficace, c’est la politique la plus simple, sans coups d’état et sans coups de théâtre, sans appel à un sauveur mystérieux qui n’existe pas ; c’est la poUtique de la raison et du bon sens acceptant ce qui est, créant des institutions parce qu’elles sont nécessaires, se servant de toutes les bonnes volontés, n’excluant que les rêves, les passions meurtrières et l’esprit de parti. La vraie politique de notre pays, c’est la prédominance incessante, obstinée, de l’intérêt national sur cet esprit de parti qui a fait tout le mal depuis trois ans, qui a conduit l’assemblée elle-même à ce point où elle n’a pu arriver jusqu’ici à organiser le gouvernement qu’elle a créé, et si c’est vrai dans notre vie intérieure, c’est bien plus sensible encore dans nos affaires extérieures. Certes ce n’est plus le moment pour la France de chercher ou de braver les complications extérieures, et cependant l’unique souci d’un certain parti est de pousser la politique française dans une voie où elle rencontrerait inévitablement les plus cruelles, les plus humiliantes épreuves. D’où sont venues depuis trois ans presque toutes les difficultés qui se sont succédé, qui ont eu quelquefois plus de gravité qu’on ne le croyait ? Elles sont venues invariablement tantôt d’une intempérance de zèle clérical, tantôt des agitations des légitimistes, toujours à la poursuite de cette restauration monarchique qu’ils ont vue s’évanouir devant eux au moment où ils croyaient la tenir, et qui s’est heureusement évanouie, puisqu’elle pouvait nous jeter dans les plus redoutables aventures. Les légitimistes, aveuglés par l’esprit de parti, se font cette singulière et coupable illusion, que la meilleure manière de servir la France est de lier sa cause à celle de la restauration de la souveraineté temporelle du pape et à celle du prétendant espagnol. Ce sont là les alliés qu’ils nous présentent, sans s’apercevoir que la première conséquence de cette politique serait