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marin y puisse tracer sur route en ligne droite et y mesurer exactement les distances. À ce prix, le marin se passera d’une représentation fidèle de l’étendue relative des terres. Pour atteindre ce but, suffisait-il, comme on paraît se l’être imaginé au XVe siècle dans l’académie de Sagres, de construire un canevas composé de carrés égaux et d’y inscrire les divers fragmens de la mosaïque terrestre ? C’eût été fort bien inventé sans doute, si notre planète affectait la forme cylindrique, mais une sphère, un globe ne s’accommode pas de la simplicité d’un si mince expédient. À peu près exactes dans le voisinage de l’équateur, les distances se trouvaient singulièrement altérées quand on se rapprochait des pôles. Il fallut rétablir le rapport qui existe entre les degrés des grands cercles et ceux des cercles moindres qu’une audacieuse fiction avait dilatés outre mesure. La transformation s’accomplit en 1569. Mercator en découvrit la loi mathématique : il laissa tous les parallèles égaux à l’équateur ; il allongea en proportion les méridiens. C’est ainsi que « les cartes plates » se trouvèrent converties « en cartes réduites. » Les cartes plates n’avaient qu’une échelle ; la projection de Mercator en eut deux : l’échelle des longitudes, où la longueur du degré resta constante ; l’échelle des latitudes croissantes, qui fit varier cette longueur en raison du plus ou moins grand rapprochement du pôle. Cette dernière échelle est la seule à laquelle on se puisse confier quand on veut mesurer les distances. Joignez sur une semblable carte le point d’où vous partez à celui où vous vous proposez de vous rendre, vous aurez tracé une ligne droite qui coupera tous les méridiens sous le même angle. Cet angle, relevez-le ; il vous indiquera « le rumb de vent auquel vous devrez mettre le cap, » en d’autres termes la division du cercle gradué de la boussole qu’il faudra constamment maintenir ou ramener, à l’aide du gouvernail, dans la direction de la quille.

Le grand problème de la route à suivre sera-t-il par cette seule opération graphique pour longtemps résolu ? Il ne lésera, hélas ! que pour l’instant même où le navire va s’éloigner du port. À peine en effet les derniers sommets se seront-ils abaissés à l’horizon qu’il faudra trouver réponse à une question nouvelle. Hier on se demandait « où il fallait mettre le cap : » il s’agit de savoir aujourd’hui « où l’on est. » Pour procéder à cet examen de conscience, le moyen le plus simple consiste à supputer le chemin parcouru. De temps immémorial, le marin a fait usage de « l’estime de la route. » On rencontrerait jusque dans Vitruve des appareils destinés à mesurer la vitesse du sillage. « Le loch » est l’instrument dont se servent les marines modernes depuis près de trois siècles ; on n’a encore rien trouvé de plus sûr et de plus pratique. Un triangle de bois lesté par