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que l’on pourrait envisager de mieux dans une matière où, somme toute, on aura fait beaucoup, si l’on parvient quelquefois seulement à empêcher le mal. Après Fontenoy, le marquis d’Argenson, écrivant à Voltaire, lui disait que le triomphe paraissait magnifique, mais que le cœur lui manquait en songeant que « le plancher de tout cela était du sang humain, » C’est l’image qu’on ne devrait cesser d’avoir sous les yeux en traitant un pareil sujet. Une guerre de moins, que de sang épargné !

Nous avons dit que la magistrature était descendue dans la lice, et demandait à son tour l’abolition des restes de barbarie dont témoignent nos relations internationales. Qu’elle y apporte plus particulièrement l’idée du droit dans ses acceptions élevées, on ne saurait en être surpris, puisque là est l’objet de ses incessantes préoccupations. Elle n’admettra jamais qu’il y ait deux morales, la petite, comme on l’a dit, celle des citoyens entre eux, et la grande, celle des nations, — que le droit seul règne ici, et la force là. Un mot sauvage était parti du camp prussien dans la dernière guerre. Avait-il été réellement prononcé par le grand-chancelier ? Il méritait dans tous les cas d’être flétri. Alors que l’ennemi foulait encore notre sol, l’un de nos premiers magistrats et de nos plus éminens juristes proclamait, pour l’honneur de la civilisation, que le droit prime la force[1]. C’est le titre qu’un autre magistrat de la cour de cassation, M. Achille Morin, aurait pu donner à l’ouvrage étendu dans lequel il a traité, au point de vue juridique, la plupart des questions que fait naître la guerre[2]. Joseph de Maistre se plaît à rappeler que, dans le grand siècle de la France, les procédés chevaleresques présidant aux combats, « la bombe dans les airs évitait le palais des rois. » Hélas ! c’est pendant que les obus cinglaient à Paris le dôme du Palais de Justice que le magistrat écrivait son livre.

M. Morin se place en face de la guerre déclarée et se demande si elle n’a pas certains principes d’humanité et de justice à respecter. Montesquieu fait dériver le droit de la guerre « de la nécessité et du juste rigide. » Le combat aurait-il d’autres lois ? Qui oserait soutenir que le soldat vaincu peut être torturé, que la propriété peut être inutilement dévastée, que le pillage est licite ? Qui ne serait indigné à la pensée que l’un des belligérans a fait usage d’engins cruels, de balles explosibles ou empoisonnées ? Sur tous ces points, l’œuvre paisible et infatigable des juristes a fait son chemin ; elle a pénétré dans tous les pays, répandu la lumière dans

  1. Discours de M. le procureur-général Renouard, prononcé à la rentrée de la cour de cassation en 1872.
  2. Les Lois relatives à la guerre selon le droit des gens moderne, Paris 1872.