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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/250

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une autre couleur de cheveux que le noir est si rare qu’ils prêtent des cheveux d’or au vampire des Carpathes, la letaviza. De tout cela, il me paraît ressortir que les Houzoules, lors de la grande migration des peuples, à la tête de laquelle marchaient les Slaves, furent refoulés dans nos montagnes. Tandis que leurs frères des plaines étaient divisés, dispersés, asservis par les Germains d’abord, et plus tard par les Huns, les Hongrois, les Tartares, les Mongols, les Turcs, les Houzoules gardèrent pur de tout mélange le caractère originel slave ou, si vous voulez, caucasien. Il est permis de supposer qu’ils occupaient déjà leurs demeures actuelles lors de la fondation de Kolomea[1] par les Romains, car ils conservent encore des souvenirs frappans de cette époque ; par exemple les guerriers houzoules s’intitulent leginsie, légionnaires ; ils jurent toujours par Pluton et invoquent le brave chevalier Mars. Une montagne près de Kuty est appelée le Mont-Ovide, et le lac voisin, le lac d’Ovide. Peut-être le grand poète latin a-t-il passé le temps de son exil sur le sol classique de Kolomea, riche en pierres romaines et en monnaies frappées à l’effigie de César.

— C’est très probable, affirma Mlle Lodoïska.

— Voilà de belles et bonnes histoires, interrompit brusquement mon cosaque de sa grosse voix enrouée par le schnaps, mais il serait temps, avec la permission de vos seigneuries, de nous mettre en marche, si nous ne voulons pas laisser perdre la fraîcheur du matin.

— Tu dis vrai, mon fils, s’écria le chirurgien, et, se levant aussitôt, il entonna la chanson : «Eh ! brigands mes frères ! »

Ivach marchait devant pour nous montrer le chemin.


II.

— Ici demeure le vieux haydamak, annonça respectueusement mon cosaque.

Nous étions sur une colline abrupte et rocheuse. Au milieu de sapins sombres s’élevaient les vastes bâtimens quadrangulaires formés de gros troncs d’arbres noirâtres, couverts en bardeaux et entourés d’une clôture d’épines. Sous nos yeux s’étendait dans toute sa longueur la cabane basse sans fenêtres, ni portes, ni cheminées apparentes. Alentour régnait un profond silence que troublait seul le bruit d’un ruisseau écumant au fond du ravin. Comme nous grimpions vers l’entrée de la clôture marquée par quelques poutres, se montra soudain une grosse tête blanche à longs poils avec de

  1. En dialecte populaire Kolomiya, du latin colonia.