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Juifs, qui nous faisaient payer notre entrée le dimanche comme au théâtre. La guerre continua donc dans nos montagnes, quoique moins acharnée, la guerre sainte et juste de l’opprimé contre l’oppresseur ! Avant 1848, je vous le dis, c’était une honte de n’être pas haydamak, et même à présent ;… mais cela m’entraînerait trop loin.

Vous voulez connaître la vie d’un haydamak. Par où commencer ? Mon père était un pauvre Houzoule, et ma mère une pauvre fille de la plaine. Je ne sais comment l’idée leur vint de se marier, mais ils se marièrent, et cela parut d’abord leur porter bonheur. Un cousin de mon père leur légua son bien en mourant, une acre de bois,… c’est-à-dire que les arbres étaient tous abattus et vendus, ne laissant qu’un sol parsemé de racines, de mousse et d’herbes. Comment y bâtir une chaumière ? Ils se mirent d’abord à creuser la terre à quelques toises à la ronde ; c’était justement en automne, partout les moissons étaient faites. Ils trouvèrent donc du chaume, et, ayant mêlé la terre avec de l’eau, façonnèrent quelque chose de semblable à des briques qu’ils séchèrent au soleil. Ma mère me l’a raconté plus d’une fois. De ces briques, ils firent une maison, sur le toit la paille fut consolidée au moyen des branches d’osier qui croissaient le long du ruisseau voisin ; on ne pensa guère aux portes ni fenêtres ; par un petit trou dans la muraille entrait le soleil, par un trou plus large entraient et sortaient les hommes. Puis ils attachèrent ensemble des branches d’osier, les enduisirent de limon au dedans et au dehors, et placèrent cet objet, qui avait l’air d’un vaste bonnet de nuit, au milieu de leur chaumière : ce fut le foyer ; une cheminée aurait été de trop, la fumée trouvait aisément son chemin par la porte ouverte. Mon père, avec deux souches, se créa un mobilier : deux petits bancs, et, quand tout fut achevé dans ce palais, que le premier feu pétilla dans l’âtre, figurez-vous mes parens au milieu du courant d’air et de la fumée riant et chantant comme des heureux. Puis ils commencèrent le défrichement de leur terre. Il y avait bien une mauvaise petite charrue, mais aucun animal pour la traîner ; mon père s’y attela donc, et ma mère labourait avec lui comme avec un cheval. Ils cultivaient du blé, des pommes de terre, du sarrasin ; ils s’arrangèrent un petit jardin de légumes, plantèrent quelques arbres fruitiers. Que faut-il de plus à l’homme ? À peine savaient-ils qu’ils étaient pauvres.

Mes parens commencèrent seulement à sentir leur indigence lorsqu’arrivèrent les enfans. J’étais l’aîné ; il faut avouer que je leur donnai peu de satisfaction. Tout petit, j’étais turbulent et mon cœur aspirait à la liberté. Que voulez-vous ? le vrai sang des Houzoules ! Aussitôt que je pus marcher, je m’échappais dans la montagne, j’y