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tout resteront immortels, comme celui de Lavoisier. Si beaucoup de ces manieurs d’argent, comme on les nommait, avaient mené gaîment la vie, beaucoup aussi surent courageusement mourir. C’est le cas également, et lorsqu’elles vont disparaître, de jeter un dernier coup d’œil sur ces institutions qui, sous le nom de fermes-générales, avaient, pendant près de deux siècles, suppléé en partie l’état dans le recouvrement des impôts, choisi la matière sur laquelle ils devaient porter, réglé les cotes, réuni les élémens d’une comptabilité des détails. Rien de tout cela n’approche, il est vrai, du puissant mécanisme qu’ont peu à peu constitué nos besoins croissans et nos facultés grandissantes : ce n’est ni le même ordre, ni la même régularité, ni la même justice distributive ; il y a de l’arbitraire, de l’exaction abusive, de l’empirisme en un mot. On évalue en bloc ce qu’on demandera à la France pour le service du roi, qui fixe lui-même sa part sans oublier celle de ses favoris : la ferme-générale fait là-dessus des avances, souscrit à un forfait qui d’aucune part n’est pris au sérieux, et par voie de répercussion va toujours retomber sur le contribuable, qu’aucune immunité ne protège. Pourtant cet empirisme était déjà l’embryon d’un régime plus méthodique, fondé sur une meilleure répartition des charges, et de ce personnel un peu mêlé formé par les fermes-générales allaient sortir, aux débuts du siècle suivant, les hommes qui ont fait des matières de fmances un art chaque jour perfectionné et presque une science. L’émancipation des fortunes suit alors de près l’émancipation des classes : il n’y a plus devant l’impôt de traitemens de faveur ; les expédiens ont cédé la place aux principes.

I.

Pour donner aux faits plus de précision, il convient d’abord d’en fixer la date, et ce sera l’année 1774 pour deux motifs. C’est d’abord l’avènement de Louis XVI, qui, avec Turgot et Necker, inaugure dans les finances un âge nouveau, c’est en outre le millésime d’un bail des fermes qui est resté célèbre et qu’on a nommé le bail de David. Quand l’heure des proscriptions eut sonné, il fut convenu qu’on ne les ferait pas remonter au-delà de ce bail, qui ouvrait les listes fatales et portait un arrêt de mort pour qui y était inscrit. Ce qui était plus ancien en fait de fermiers échappa par un bénéfice de prétérition, à moins que le tribunal de sang ne les eût retenus sous d’autres prétextes.

Ce qu’était alors la ferme-générale, ce qu’elle représentait dans l’état comme puissance et comme ressource comporterait un trop long détail. En réalité, elle représentait la plus forte branche du revenu public, les grandes et petites gabelles, les gabelles géné-