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le consentement même, en admettant qu’il fût donné, n’était pas libre, puisque le malheureux acheté ou pris dans l’intérieur de l’Afrique, exposé en vente, n’aurait eu que le choix d’un genre de captivité. Cependant le progrès était marqué : le nègre, au cours de son engagement, était une personne civile assujettie à l’obligation du travail, mais garantie par des droits que l’autorité faisait respecter ; il était tenu envers son maître comme ce dernier l’était envers lui par les conditions stipulées, et, s’il n’était pas encore son concitoyen, il était au moins son égal devant la loi. Malheureusement la violence persistait ; le principe de l’esclavage, qu’une combinaison particulière atténuait ou éludait, n’était point attaqué. On s’émut, on fit remarquer que de telles opérations constituaient un encouragement à la traite. Nos colonies durent renoncer à ce mode de recrutement, et elles n’eurent plus qu’à demander des coulies indiens à Bombay et Calcutta, ou des Chinois à Hong-kong et Macao.

L’engagement, dernier mode d’emploi des nègres, supprimé, il ne restait que deux nations européennes qui contribuassent à favoriser indirectement la traite. La côte occidentale d’Afrique, n’ayant plus de demandes d’envoi, n’avait plus de marché ; mais la côte orientale en conservait un à Zanzibar. C’est que Zanzibar alimente les contrées musulmanes. Ce n’était point d’ailleurs, comme en pays européen, le spectacle des misères des esclaves chez leurs maîtres qu’on aurait pu invoquer, le grief se réduisait aux souffrances qu’ils enduraient avant d’être vendus. Les rapports du docteur Livingstone donnent les détails de ces longues routes suivies par les caravanes d’esclaves, tantôt captifs de guerre, tantôt volés par les commerçans, souvent livrés par leurs parens. Les moyens varient peu. Les enfans sont pris au moment où ils se trouvent éloignés de leur cabane, sans que leurs cris puissent attirer du secours ; les parens, pour avoir de la poudre ou du plomb, de la cotonnade américaine ou quelque autre denrée, les abandonnent aux traficans. Alors commencent ces longues marches de malheureux attachés entre eux, nus, épuisés de fatigue, nourris d’une poignée de grains par jour. Sur cinq esclaves, dit le docteur Livingstone, un seul arrive à destination. Ces souffrances de la route par terre ne s’interrompent que pour être remplacées par les souffrances du transport par mer. Les esclaves viennent à Zanzibar du sud, d’un point nommé Quiloa ; dans la saison de vente, on voit en rade de Zanzibar des barques où les esclaves, parqués par centaines sur un petit espace, présentent un amoncellement bizarre où l’œil ne distingue plus de formes humaines. Le matin, quand au lever du soleil les malheureux absolument nus qui viennent de passer la nuit sur le pont sont saisis d’un tremblement de froid, il n’est pas de spectacle qui serre plus le cœur ; parfois, du nombre de ces misérables d’une maigreur affreuse, hommes ou