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imposée. Les souffrances physiques s’ajoutaient aux douleurs morales. La dignité de l’homme était atteinte par cette triste situation, que des intéressés défendaient en vain en invoquant des nécessités de climat et la prospérité de la colonie. En regard de la société chrétienne, le travailleur esclave, le domestique esclave, demandaient compte de l’application des grands principes d’amour et de charité. Que d’efforts avaient été tentés avant de faire accepter universellement des vérités qu’on s’efforçait d’obscurcir ! Les hommes d’état les plus éminens de notre pays s’étaient mis à la tête d’une croisade où s’illustrèrent les Saint-Aulaire et les Broglie. Grâce à l’activité des croisières, les côtes de l’Afrique occidentale surveillées n’expédiaient plus qu’avec peine les cargaisons de noirs. Le trafic n’était pas pour cela réprimé ; ingénieux, il se déguisait sous toutes les formes. Le droit de visite venait encore l’entraver ; mais c’était un obstacle de plus, exposant les malheureux noirs, dont le prix augmentait, à des marches pénibles vers des points d’embarquement moins connus, à des traversées sur des bâtimens mal appropriés à leur destination, afin qu’aucun indice extérieur ne les signalât comme négriers. La fraude ne cessa véritablement que lorsque la répression, insuffisante aux contrées de provenance, eut pour auxiliaire l’abolition du marché dans les pays d’arrivée. C’était la solution de la question. Jusque-là, le cultivateur avait toujours su se procurer des travailleurs nègres.

Les diverses nations avaient équitablement subi les sacrifices qui devaient retomber sur les particuliers. Les plus atteintes étaient certainement l’Amérique, l’Espagne, le Portugal, puis la France. L’Angleterre était désintéressée ; son initiative ardente ne devait point être modérée par l’évaluation de ses pertes. Elle agissait d’accord avec la France, qui généreusement s’était faite le champion du principe d’affranchissement. Il n’en était pas moins un axiome que nulle colonie n’était possible sans travailleurs noirs ; seulement ils devraient être libres. La théorie des engagés parut concilier l’affranchissement avec la nécessité de pourvoir aux besoins de la culture. On préférait dans nos colonies les noirs aux Hindous et aux Chinois, que les colonies anglaises recevaient de Calcutta, de Bombay et de Macao. L’engagement fut adopté. Des navires affrétés par les autorités administratives, et portant un fonctionnaire chargé de contrôler l’opération, vinrent acheter des nègres qui, une fois sous le pavillon français, étaient considérés comme libres. Ils contractaient alors un engagement pour cinq ans, passé lesquels l’homme qui avait aliéné sa liberté se trouvait libre en droit et en fait. Que dans la pratique on ne s’écartât point de ces formalités, que le sujet engagé parût ou non à l’acte, il n’en était pas moins réel que l’engagement était vicié par défaut de consentement, que