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de l’un et l’autre sexe, vont par troupes portant les pierres et le mortier, tandis que d’autres les emploient à construire, et que des bandes, suivant le rhythme d’un joueur de flûte, battent en cadence les assises recouvertes de chaux qui seront le plancher ou la terrasse. Jamais on ne voit frapper un homme ou un enfant. C’est la terre promise des nègres, que regrettent tous ceux qui l’ont connue et qui ont ensuite été conduits par les croisières à Mahé, à Aden ou à Bombay. Lors même que l’esclave est transporté dans un autre pays musulman, s’il ne se trouve pas dans un climat qui lui convienne aussi particulièrement que celui de Zanzibar, il ne souffre pas néanmoins, il est musulman, et on le traite avec douceur. Le Coran fait un devoir de cette humanité, que l’Européen a toujours moins pratiquée, et, pour être agréable à Dieu, le musulman riche libère ses esclaves en mourant.

Nous nous trouvons donc en présence d’une situation qu’il faut comprendre en sachant ce qu’est le monde musulman. La religion, les mœurs, les croyances inflexibles, admettent l’esclavage. On voit des esclaves partout en Turquie, en Perse, en Égypte. Des traités prohibent le trafic ; il se cache, et il ne s’exerce pas moins. L’islamisme, qui paraît à son déclin dans les pays voisins de nous, s’étend au contraire avec une prodigieuse force d’expansion dans l’extrême Orient. Il tient en échec la puissance anglaise aux Indes, organise les révoltes en Chine, pénètre au Japon. Courbé sous la loi du plus fort, subissant la fatalité qui est un fait, rebelle à l’idée de droit, qu’il ne songe pas à invoquer, le croyant attend avec patience l’occasion, ne doute pas, et est toujours prêt à se soulever. Suivant les races si nombreuses qui obéissent à cette loi uniforme, la révolte est plus rapide, déjoue plus vite la surveillance. La France en a l’exemple ; l’Algérie est certes le pays le plus difficile à gouverner, c’est le pays du nomade. La tribu se déplace-t-elle, ses tentes, ses bestiaux, ses animaux, ses intérêts, la suivent partout ; pour l’amener à soumission, il faut se mettre d’abord à sa poursuite, l’atteindre, lui infliger un châtiment. Une armée occupe l’Algérie, empruntant, pour la défendre, la tactique de ses adversaires. Si l’on veut sincèrement juger et éviter cette accusation banale qui dépeint notre génie comme impropre à l’œuvre de colonisation, on devrait de bonne foi chercher ailleurs l’argument. Avec l’Arabe bédouin, on ne peut espérer qu’une trêve ; le prosélytisme le plus éclairé, les missionnaires les plus infatigables, n’ont jamais obtenu de résultat, et c’était à la religion en effet qu’on devait s’attaquer. La tolérance qui prévaut n’a pas de succès. On ne peut vivre en sécurité avec l’indigène, on ne peut que le refouler et s’en passer.

Le gouvernement anglais pratique deux méthodes à l’égard des colonies. Il s’empare complètement d’un pays et ne cherche point