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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/323

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à sauvegarder les intérêts des habitans qu’il dépossède, il les détruit et il les remplace : c’est ce qu’il fait en Australie. Aux Indes, au milieu d’une race douce, laborieuse, organisée en castes avec des croyances anciennes comme le monde, il se substitue à des gouvernans qu’il paraît admettre dans ses conseils et qu’il dirige. Une conciliation d’intérêts doit prévaloir parce qu’on ne peut déplacer tant de millions d’hommes qui ignorent encore qu’ils sont les sujets de la Grande-Bretagne. On a tenté des réformes sociales ; mais on se repent d’avoir agi sur une religion qui n’a rien d’envahissant. Tous les efforts tendent actuellement à repousser l’islamisme, qui pénètre et s’étend avec son dogme simple et son drapeau de révolte contre l’infidèle. Dans cette lutte, où la cause anglaise a failli succomber, que d’appuis cependant dans le caractère des habitans ! Le goût des Indiens pour la culture, leur organisation en corps de métiers, leur agglomération dans les villes, font qu’ils ne seront jamais aussi redoutables que les Arabes ; ils ne sont pas soldats comme leurs coreligionnaires, ils ne sont point armés ; habitués à la toute-puissance de leurs souverains presque divinisés, ils ne sentent pas le poids du joug étranger. Ils devraient s’estimer heureux du secours que leur donnent des lois qui assurent leur sécurité et leurs biens. Ainsi pensent les Indiens, fidèles aux traditions de leurs pères. Les musulmans au contraire n’admettent pas le partage entre les devoirs sociaux et les devoirs religieux. Ils ne relèvent pas de l’autorité qu’ils subissent, pratiquent leur culte dans son intégrité et s’efforcent d’échapper à celles des lois qui leur en interdisent l’exercice. On vend des esclaves à Bombay ; on doit en vendre en Algérie.

Quant à l’Egypte, les marchés que l’on voyait encore en 1865 sont sans doute fermés, mais le commerce ne subsiste pas moins. Le souverain a déclaré que des Européens faisaient la traite dans le Haut-Nil et que son impuissance à l’égard des Européens empêchait de remédier à un commerce qu’il s’efforçait de détruire. Il se faisait illusion, ou il avait été trompé. Deux années plus tard, un consul mettait en liberté à la foire de Tantale des centaines d’esclaves ; un autre en voyait vendre à Suez. Un traité prohibe l’esclavage ; tout esclave peut venir se plaindre à un consulat, qui le fait mettre en liberté par les autorités. Que devient-il ? Les plaintes sont encore assez rares dans une population où les grands seigneurs, au su de tout le monde, ont des harems peuplés d’esclaves blanches avec des eunuques pour les garder, et où chaque fils de famille est élevé avec quelque enfant acheté qui grandira avec lui, obéira aveuglément à ses ordres, et lui sera dévoué jusqu’à la mort. On en dira autant de la Turquie, de la Perse ; partout la pression des nations européennes a obtenu l’abolition de l’esclavage, qui s’est partout perpétué en fait, qui résistera toujours tant que l’institution, combattue par des lois