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HISTOIRE D’UN DIAMANT
RECIT DE MŒURS CONTEMPORAINES.


I.

Depuis longtemps j’observais le comte de Louvignac. Je ne sais quel appât singulier cet homme offrait à ma curiosité, mais je ne pouvais m’empêcher de recueillir tout ce qu’on disait de lui. On en disait beaucoup de bien. D’une humeur douce, d’un commerce facile et agréable, d’une politesse un peu froide, M. de Louvignac n’aurait été pour les gens du monde qu’un homme bien élevé, s’il n’eût paru sujet à quelques-unes de ces manies qui éveillent l’attention. Il avait près de quarante ans, une fortune considérable, un grand train de maison, et il ne songeait pas à se marier ; il ne voyait qu’un très petit nombre d’amis, vivait seul dans un hôtel à lui, sortait peu et ne donnait point de dîners. On ne pouvait pas l’accuser d’avarice. Il ne refusait pas son tribut à la charité publique et aux œuvres de bienfaisance. Quand la récolte était mauvaise, ses fermiers le trouvaient accommodant. La plus évidente de ses manies était celle de se croire malade, ou sur le point de le devenir, malgré tous les dehors d’une santé robuste. Il faisait bonne chère, mais en se refusant certains mets réputés innocens, certains vins bienfaisans pour tout le monde et nuisibles apparemment pour lui seul. Chaque année, il passait deux mois dans une petite ville des Vosges que la fashion ne connaît pas. Les faux malades ne sont en général que des égoïstes qui dissimulent sous le prétexte des infirmités du corps celle de leur âme : n’est-on pas excusable de ne penser qu’à soi lorsqu’on souffre ? M. de Louvignac ne se plaignait jamais. On le voyait préoccupé de sa santé, on devinait son inquiétude aux précautions qu’il prenait ; mais, que ce fût savoir-vivre ou mystère, il ne parlait pas de ses maux. De ces contradictions le