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ses institutions et sa destinée ; seulement à cet égard il y a une méprise à éviter.

Depuis un siècle environ, dans toute l’Europe occidentale on voit s’entre-croiser et plus ou moins se mêler deux mouvemens tout à fait différens d’origine comme de direction, et qu’il importe de ne pas confondre. Il y a d’abord un mouvement démocratique et égalitaire qui est bien plus socialiste que politique, qui malgré ses alliances accidentelles avec le libéralisme ne vise nullement à étendre l’indépendance des individus en diminuant le pouvoir central, mais qui tend plutôt à déplacer l’assiette de la souveraineté pour arriver à changer plus ou moins d’autorité la constitution de la société. Cet entraînement-là s’est produit surtout dans les pays catholiques, et n’est, à bien voir, que la contre-partie de leur civilisation. L’église et l’état, dans l’Europe catholique, s’étaient peu à peu transformés en un pur gouvernement qui au fond laissait les esprits et les volontés sans culture. Pour établir l’ordre, ils avaient commandé ce que tous devaient croire et faire en dépit de leurs sentimens propres, c’est-à-dire qu’ils avaient pratiquement laissé aux individus la licence d’être indifférens, sceptiques et immoraux, en exigeant seulement qu’ils n’eussent aucune conviction personnelle, aucune manière à eux de concevoir le vrai, le juste et le nécessaire. En France surtout, où ce régime n’avait pas réussi à tuer l’activité des intelligences, il en était sorti cette conséquence étrange, que la royauté et l’église étaient devenues officiellement absolues au moment même où les esprits n’y croyaient plus. De là le caractère de l’opposition qui a grandi de plus en plus chez nous, opposition essentiellement anti-religieuse, anti-aristocratique, anti-royaliste et essentiellement autoritaire aussi. Les prétentions dictatoriales des deux pouvoirs ont provoqué une volonté contraire qui repousse la leur ; mais, sous cette opposition, il n’y a toujours que le même genre d’esprit qui pouvait seul résulter de l’éducation du pays. Le radicalisme démocratique et irréligieux est héritier du passé par sa foi à la dictature. Quelles que puissent être les intentions des chefs, ce que désirent les masses qui les suivent, c’est simplement de mettre la souveraineté entre les mains des majorités pour qu’à leur tour elles puissent par des décrets refaire la société à leur gré.

L’autre mouvement au contraire a pris naissance dans les pays protestans et est décidément politique par ses visées. Il tend à limiter l’état, à enlever à la société le droit de restreindre par des règlemens l’indépendance des individus. Dans le domaine de la théologie, l’Allemagne avait été le premier champion de ce libéralisme ; elle avait nié l’autorité de l’église en réclamant pour chaque fidèle le droit de lire la Bible et d’avoir une foi personnelle ; mais les consciences n’étaient pas mûres. Dans une large mesure, les penchans