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où ils étaient avant Henry V. Littéralement donc l’église anglicane ne se gouverne pas elle-même pas plus qu’elle n’est gouvernée : elle n’est ni synodale, ni sacerdotale, ni église d’état. Pour la caractériser, il faut ouvrir un nouveau titre de classification, et, quant à moi, je la désignerais comme contractuelle. Au point de vue de ses dogmes, elle repose sur un contrat immobile passé entre elle et l’état. Le pays s’est engagé à lui assurer une dotation et une fonction publique à la condition qu’elle-même enseignerait une doctrine spécifiée dans une confession en trente-neuf articles, et qu’elle emploierait une liturgie également arrêtée entre les deux parties.

Sous un autre rapport encore, l’église anglicane ne s’est pas moins éloignée de sa destination primitive. Aux premiers jours de la réforme, alors que plusieurs nations avaient rejeté l’idée d’une autorité ecclésiastique supérieure à tous les pouvoirs nationaux comme aux consciences individuelles, et alors que le protestantisme, effrayé par les excès des masses livrées à la seule inspiration de l’Esprit-Saint, avait senti la nécessité de s’organiser, la nouvelle idée qui s’était peu à peu élaborée était celle d’une église qui, au lieu de renfermer l’état, serait contenue dans l’état. Les circonstances d’abord avaient amené les princes, les peuples et le nouveau clergé à s’unir contre l’anabaptisme en même temps que contre la papauté, et il était sorti de là des établissemens religieux qui, une fois nés, donnèrent naissance à une théorie. Cette théorie revenait à peu près à ceci : que l’état en sa qualité de tuteur a droit de choisir la religion qui doit être enseignée à ses administrés, que c’est lui qui a charge de fixer la croyance que tous doivent avoir comme de la faire prévaloir par des fonctionnaires ecclésiastiques. Plus qu’aucune église protestante, l’église anglicane fut d’abord un instrument d’état pour imposer une orthodoxie ; mais il y a longtemps que le pouvoir civil en Angleterre a reconnu la nécessité de renoncer à sa première prétention. Tour à tour les presbytériens, les quakers, les catholiques, ont obtenu la liberté de pratiquer et prêcher leur foi ; seulement, avec leur remarquable ténacité, les Anglais n’ont pas renoncé pour cela à leur établissement religieux. Ils se sont bornés à supprimer les lois qui entravaient la liberté de conscience, et sans théorie encore, rien qu’en conservant leur église à côté des libres propagandes, ils l’ont transformée en un pur établissement d’éducation publique. Nul n’est contraint, toutes les croyances peuvent chercher à faire des prosélytes, et pourtant la prudence de la nation a son moyen d’action. Elle n’abandonne pas les multitudes aux influences discordantes, aux théologies superstitieuses et aux fanatismes mystiques qui peuvent avoir le plus d’attrait pour les ignorans ou les mécontens ; elle s’est ménagé un corps enseignant qui va offrir à tous l’éducation religieuse que le pays