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l’étude des plantes d’un groupe restreint ou d’une région limitée des facultés d’observation souvent précieuses lorsqu’elles ne se perdent pas dans la minutie. Que l’école multiplicatrice soit donc plus modeste, qu’elle se reconnaisse des ancêtres, qu’elle respecte davantage dans ceux qu’elle appelle dédaigneusement des linnéens certaines facultés de pondération qui leur font mieux apprécier la valeur relative des caractères : la vérité, c’est qu’il n’y a pas deux écoles tranchées, l’une du passé, l’autre du présent, il n’y a pas même deux esprits irréconciliablement antagonistes, il y a sur ce coin du vaste champ intellectuel ce qui se trouve partout ailleurs dans l’activité humaine, des esprits attardés dans la routine, d’autres avides de nouveautés, puis entre deux les esprits modérés qui pèsent toutes choses, en adoptent ce qui leur en paraît bon, et laissent au temps le soin d’opérer dans les idées un triage définitif.

Ici se présente un contraste qui nous frappe entre ce qui se passe respectivement en entomologie et en botanique, à l’égard des subdivisions des anciens groupes. En entomologie, l’esprit d’analyse porte surtout sur les genres : on en est venu à cet égard à de véritables excès par l’émiettement des genres classiques d’insectes. En botanique, la fureur du morcellement s’est portée de préférence sur l’espèce. Cette différence tient peut-être à des raisons bien peu scientifiques. Les entomologistes en sont déjà à l’encombrement en fait d’espèces ; ils en trouvent de nouvelles tant qu’ils veulent, leur désir serait plutôt de les condenser que de les multiplier ; dès lors le goût inné de faire du neuf se tourne vers le remaniement des genres : on fonde des genres nouveaux sur des différences qui, chez les plantes, n’auraient qu’une valeur d’espèce. En botanique au contraire, dès qu’il s’agit de flores d’Europe anciennement étudiées, la veine des espèces nouvelles, au sens large ou linnéen, est presque tarie ; donc il faut faire du neuf avec le fonds vieux, et l’on se met à donner des noms d’espèce aux moindres nuances de formes, sans garder la juste proportion entre les types vraiment arrêtés et les variations indécises qui ne sont que des états individuels et passagers. On mérite alors ce nom de trichoscopes, de compteurs de poils, que les botanistes synthétiques lancent comme une injure aux pulvérisateurs d’espèces.

Le mot pulvérisation n’est pas trop fort, si l’on songe à quels excès de subdivision en est déjà l’école jordanienne exagérée, à l’égard de certains types vulgaires, tels que le draba verna. Écoutons là-dessus le maître lui-même. « J’ai signalé, dit M. Jordan, il y a déjà un grand nombre d’années, cinquante-trois espèces d’erophila toutes établies aux dépens du seul draba verna de Linné. Depuis, ma collection s’étant accrue par des acquisitions successives.