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La vive émotion qui règne dans les lettres écrites à cette date de 1783, par sir Gilbert et son entourage, montre assez quelle ardeur les hommes politiques apportaient à ces querelles de partis. L’ancienne coalition ne se tenait pas encore pour battue. Elle s’efforça, pendant quelque temps, de garder ses rangs serrés, afin de reconquérir le terrain perdu ; mais son espérance était entretenue par une singulière erreur. Le coup qui l’avait frappée avait été si inattendu, qu’elle ne pouvait se décider à considérer la nouvelle combinaison ministérielle comme sérieuse. La jeunesse de Pitt, devenu membre du cabinet, prêtait à toute sorte de plaisanteries. «Ce sont jeux d’enfans (a set of children playing at ministers), écrivait sir Gilbert, exprimant en cela l’opinion de ses collègues ; il faut les renvoyer à l’école, et dans quelques jours tout sera comme devant. » — « On a vu, ajoute avec raison lady Minto, comment ces prédictions si générales se sont réalisées. Le ministre qu’il fallait renvoyer à l’école est resté dix-huit ans au pouvoir, et ses adversaires ont eu le temps de s’user dans une opposition constante avant qu’il cessât d’être maître de la situation. » Sir Gilbert se montra, pendant quelque temps, fort peu soucieux de se lancer de nouveau dans les agitations de la politique. Ce furent ses amis qui, faisant appel à son patriotisme et à ses talens, le décidèrent à se représenter aux élections. « Nous avons besoin de vous, et vous n’êtes pas fait pour le second rang, » lui écrivait Burke dans une lettre des plus louangeuses. En 1786, sir Gilbert était envoyé au parlement par le bourg de Berwick.

Avant de suivre le nouvel élu dans la chambre des communes, nous sommes arrêtés par un nom qui a toujours le don d’exciter la curiosité. Nous rencontrons Mirabeau venant, au milieu de sa carrière aventureuse, demander temporairement l’hospitalité de l’Angleterre et se présentant un peu à l’improviste chez son ancien camarade d’enfance. Voici comment sir Gilbert raconte cette visite :


« J’ai passé la matinée avec Mirabeau, que j’ai trouvé aussi peu changé de visage et d’aspect qu’il est possible de l’être au bout de vingt ans. C’est un ami ardent, je le crois sincère, et j’ai eu un grand plaisir à le revoir. Il est aujourd’hui forcé de vivre uniquement de sa plume. Bien qu’il soit un écrivain très éloquent, si une plume anglaise est une triste ressource, c’est bien pire pour une plume française, même la meilleure !.. La dame (Mme de Nehra) n’est pas sa femme, mais elle n’en est pas moins une femme modeste, comme il faut et vertueuse. Elle est fille d’un chevalier hollandais qui était un homme distingué, appartenant au parti libéral. Il est mort pauvre, et la république, comme en tous pays, croit que les patriotes et leurs familles doivent mourir de faim pour le bien de leur âme et pour encourager les autres. La fille